Il serait simpliste de dire que Wes Anderson, le cinéaste chouchou des cinéphiles de tout acabit, se répète ou qu’il fait toujours « la même chose », puisqu’au contraire il se donne toujours la pression qu’on imagine par moment insoutenable de repousser lui-même ses propres limites et ses propres horizons, même si cela ne l’est parfois que dans les plus minimes subtilités. Cela étant dit, sa plus récente offrande, intitulée The French Dispatch, ou de son titre complet The French Dispatch of the Liberty, Kansas Evening Sun, est une œuvre qui se veut si léchée et contrôlée au millimètre près qu’elle en oublie malheureusement tout ou presque tout ce qui devrait se trouver derrière la surface.
Il y a une tendance de cinéaste qui s’avère moins commune que d’autres. Si beaucoup passent par le film de science-fiction, de guerre et même le film d’animation, il y a aussi l’idée de retourner au format du court-métrage ou, par un certain égarement, le film à sketches, que ce soit à part entière ou en se joignant à une collectivité.
S’étant commis à l’animation image par image à deux reprises et de magnifique façon, doit-on le mentionner, particulièrement avec l’irrésistible Fantastic Mr. Fox, Wes Anderson n’est pas novice face au format plus court ayant offert ses talents à de nombreuses publicités, tout comme de la prémisse de son mésestimé The Darjeeling Limited, soit le mignon Hotel Chevalier.
Si d’un point de vue narratif rendu avec maestria par les jeux de ratio, The Grand Budapest Hotel s’avérait un exemple aussi impressionnant que réussi dépliant ses histoires les unes dans les autres, Anderson propose ici un format cocasse qui manque toutefois de finition. Voulant rendre un hommage senti au journalisme il le fait surtout en essayant de recréer la construction d’un magazine, mais de manière cinématographique, concept qui à défaut d’amuser ne se concrétise pas toujours.
Le reste de sa lettre d’amour se perd dans son désir d’en mettre plein la vue et, il faut l’avouer, à ses heures, cela réussit tout de même amplement. On regrette qu’il n’aille pas plus loin en mettant de l’avant ses figures parfois de l’ombre qui agissent au front pour rapporter tout ce qui peut échapper au regard du commun des mortels ou de ceux qui ne s’attardent pas au fond des choses. Comme on l’a souvent vu au cinéma, cela reste habituellement une thématique qui ne manque pas de jus, surtout que ses inspirations ne se cachent pas, tout comme ses références à de véritables événements, incluant son modèle qui pourrait difficilement mieux s’approprier le style du New Yorker.
Côté technique, par contre, c’est la totale et la précision des cadrages aura difficilement semblé aussi réglée au quart de tour, allant du simple déplacement d’un personnage à la direction de son regard ou les mouvements de son corps. Encore mis en images par Robert D. Yeoman, le style « maison de poupée », tout comme les mouvements de caméra signature du cinéaste qu’il peaufine depuis près de deux décennies déjà, atteint probablement son paroxysme alors qu’il trouve encore des moyens de surprendre par des techniques, des audaces et des folies créatrices qu’on laissera le soin aux spectateurs de découvrir.
Malheureusement, comme tout film dit à sketches, l’inégalité est de mise et l’ordre de préférence des segments risque de différer d’un spectateur à un autre. Il semble toutefois évident que le segment le plus faible est celui du centre, misant probablement trop sur les mimiques de plus en plus prévisible d’un Timothée Chalamet surévalué; on lui préfère davantage Lyna Khoudri qui ne s’en laisse pas intimider.
Il y a également la distribution de haut calibre qui vient enrichir allègrement chaque moment du film alors que plusieurs habitués se déchaînent mieux que jamais (Tilda Swinton se réinvente encore une fois dans cet univers qu’elle se réapproprie toujours avec brio, tout comme de Adrien Brody, dont Anderson semble être le seul à pouvoir faire ressortir le côté cabotin pourtant bien existant d’un acteur qu’on relègue presque essentiellement au drame ou aux projets très sérieux) et qu’une panoplie impressionnante de noms de prestige se joignent à la fête dans des apparitions parfois si rapides qu’on pourrait les manquer si on clignait des yeux. On salue d’ailleurs la multitude de personnalités françaises qu’on a incluses dans le long-métrage.
Au moins, on doit admettre que le film prend fin sur une note assez forte, puisque le plus gros de l’audace se trouve probablement dans le troisième et dernier segment qui non seulement essaie le plus d’aller ailleurs et au-delà, mais aussi de continuer avec panache là où Anderson nous avait laissé précédemment plutôt que de se contenter de patauger en terrains connus. Après tout, avec ses clins d’œil et ses tiques, il y a de quoi se demander par moment si Anderson a vraiment envie de défis ou s’il ne fait que vouloir satisfaire ses fans de la première heure.
Avec le troisième segment, son fidèle collaborateur qu’est le compositeur Alexandre Desplat, qui grâce à Jean-Yves Thibaudet livre aussi de très jolies partitions de piano qui évoque sans honte le meilleur du grand Erik Satie, parvient également à se surpasser et à ramener ce principe de musique construite en gradation, tout comme de la multiplication des types d’instruments qui sait accentuer avec brio la tension et le suspense de l’action se déroulant à nos yeux.
Toutefois, quel est le but d’autant de précision et de beauté si c’est pour en évacuer en quasi-totalité l’émotion, probablement la part la plus difficile, mais la plus essentielle pour rendre une œuvre significative ou un tant soit peu mémorable. Anderson, qui jongle habituellement pourtant si bien avec sa notion de la famille, généralement reconstituée ou adoptive, n’en effleure ici que brièvement le principe et, n’arrive même pas à la cheville de toute la charge émotionnelle qu’il avait atteinte avec son sublime Moonrise Kingdom, probablement son dernier film qui dosait avec perfection le fond et la forme en plus de culminer en l’une des plus belles fins du septième art des dernières années.
The French Dispatch, fascinant exercice de style au mieux (il est impossible de tout saisir en un seul visionnement tellement la quantité de détails est trop grande nécessitant immanquablement un arrêt sur image dans certains plans), pompeux étalement de son savoir-faire technique et artistique – au pire avec une dose de prétention non négligeable –, mais qui peut sembler de mise avec son désir d’être français, demeure néanmoins un visionnement aussi essentiel qu’inconditionnel pour tous les amoureux de la première heure, surtout qu’il y a assez de trouvailles pour satisfaire et impressionner. On avouera qu’on se surprendra cependant plus souvent qu’autrement à se lasser dans quelques recoins qui tombent un peu plus à plat.
6/10
The French Dispatch prend l’affiche en salles ce vendredi 29 octobre.