Impossible de ne pas avoir vu ces images de grandes caravanes de migrants, partis d’Amérique du Sud ou d’Amérique centrale, qui remontent tranquillement le triple continent vers le nord, vers les États-Unis et l’espoir d’une vie meilleure, ou du moins un peu moins pire. Dans Fuir le couloir de la sécheresse, le journaliste Guy Taillefer et le photographe Valérian Mazataud vont à la source de ces migrations, histoire de faire la lumière sur le phénomène.
L’ouvrage, publié chez Somme toute, peut être considéré de deux façons: comme un essai, d’abord, sur les relations socio-politico-économiques complexes entre le Nord et le Sud, entre un havre économique qui exploite ses travailleurs – surtout ceux dans le bas de l’échelle, qui sont souvent des immigrants – et un bassin de main-d’oeuvre et la source des exportations du premier, même si celui-ci va souvent considérer le second comme le point d’origine de cette « vermine » qui ne veut plus simplement consommer et trimer à un salaire de misère, mais aussi vivre décemment, bien souvent en étant installé au Nord, justement.
Le livre est aussi un reportage photo discret, respectueux, qui montre ceux qui sont restés là-bas dans toute leur force, avec leurs espoirs et leurs rêves. Car il y en a bien sûr qui restent. Pas seulement ceux qui ne peuvent pas se permettre de partir, ou ceux qui, coincés à la frontière, sont renvoyés chez eux, mais aussi ceux qui s’accrochent, ceux qui rêvent de pays plus verts, plus libres, libérés de la violence des gangs criminels et de la corruption des élites.
Ce qui fait véritablement la force de cet essai, au-delà des récits qui y sont racontés, c’est bien sûr l’impact du mariage entre le raconté et le montré, entre l’écrit et la photo. On connaît déjà les talents de M. Taillefer et ceux de M. Mazataud, mais ensemble, les deux hommes donnent vie à une région méconnue de façon si efficace que l’on s’y croirait. La prose du premier est juste assez mordante pour éviter de tomber dans la description pure et simple, pour sentir la colère qui semble poindre devant ces terribles injustices. Et les photos du deuxième donnent une nouvelle vie à un récit déjà poignant.
Fuir le couloir de la sécheresse – Le lent massacre de l’Amérique centrale, de Valérian Mazataud et Guy Taillefer. Publié aux éditions Somme toute, 100 pages.