Loin des récits épiques de la Seconde Guerre mondiale où la bravoure des hommes sur le champ de bataille est à l’honneur, la bande dessinée La déconfiture de Pascal Rabaté raconte avec beaucoup d’humour et de philosophie une période peu reluisante pour la France.
En juin 1940, alors que la Seconde Guerre mondiale bat son plein, la France n’en mène pas large face à la supériorité en matériel et en troupes de l’armée allemande envahissant son territoire. N’ayant aucun respect pour ses propres militaires, qui se montrent incapables de repousser l’ennemi, et vivant sous le feu constant des bombardements aériens, les citoyens abandonnent leurs maisons et fuient en masse sur les routes, emportant avec eux leurs plus précieuses possessions. Chargé de signaler un immense trou laissé par l’explosion d’un obus aux camions de la Croix Rouge qui doivent venir ramasser les cadavres des soldats morts au combat, Amédée Videgrain est laissé derrière par le 11ème régiment.
Une fois cette tâche accomplie, sa moto, dont le réservoir a été percé par une balle, refuse de démarrer. Videgrain reprend donc la route à pied afin de rejoindre sa compagnie, mais malgré tous ses efforts, c’est comme s’il courait après une armée fantôme qu’il ne parvient jamais à rattraper. Après avoir sillonné la campagne en compagnie d’André Fève, un soldat égaré du 65ème régiment, il finit par rejoindre les siens juste à temps pour être capturé par l’ennemi. Il prend alors place parmi une longue colonne de prisonniers marchant vers une destination inconnue, mais refusant de baisser les bras comme plusieurs de ses camarades, il demeure à l’affût de la moindre occasion de s’évader.
Les œuvres revenant sur les faits d’armes des soldats durant Seconde Guerre Mondiale sont légion, mais contrairement à la plupart des récits du genre, La déconfiture ne s’attarde pas au côté « glorieux » ou « héroïque » du conflit, bien au contraire, et à part quelques bombes larguées lâchement depuis le ciel par les avions allemands, la bande dessinée ne montre même pas de combats. L’auteur s’attarde surtout à l’ambiance de cette période qualifiée de « grand merdier », et à l’état d’esprit de cette France « qui se débine, fait ses ballots, et fout le camp », ainsi qu’à la démoralisation de son armée devant la défaite imminente, alors que Dunkerque est tombé et que les Allemands se trouvent déjà aux portes de Paris.
Tenues dépenaillées, insubordination, la bande dessinée décrit bien la lassitude des combattants français qui, sous les ordres de leurs supérieurs, sabotent leur propre matériel pour que les boches ne s’en servent pas et capitulent au lieu de se battre. L’album aurait pu être déprimant sans l’humour fin et intelligent de Pascal Rabaté, et ce dernier multiplie les dialogues cocasses pour alléger l’atmosphère. Après qu’un militaire ait utilisé les pages d’un livre de Victor Hugo en guise de papier de toilette, Videgrain l’apostrophe en lui disant « Tu te rends compte que tu t’es torché avec les écrits du plus grand écrivain français. C’est presque pire qu’un autodafé ». Tenaillé par la faim, un autre soldat confie « D’habitude, je fais des rêves de cul. Cette nuit, j’ai rêvé de poulet ».
Publié dans la collection de poche de Futuropolis, La déconfiture est un album de petit format, ne mesurant que 148 par 200 mm, mais contrairement à l’édition originale, qui se décline en deux tomes, l’histoire complète est incluse ici. Les dessins en noir et blanc de Rabaté sont épurés, et il n’utilise souvent que quelques objets, comme une maison ou une rangée d’arbres sur la route, pour planter son décor. Il joue beaucoup avec les ombres pour ajouter du relief à ses illustrations, et crée des scènes nocturnes à l’aide de crayonnages touffus. L’artiste s’amuse aussi à croquer des moments insolites, dont un troupeau de vaches déambulant dans les rues d’un petit village déserté, ou des tanks allemands stationnés dans une vallée idyllique comme un troupeau au repos. Le livre se termine avec les sources bibliographiques ayant servi pour étayer le côté historique du récit.
Avec en toile de fond une France en pleine débâcle, La déconfiture se démarque des autres récits sur la Deuxième Guerre mondiale en démontrant l’absurdité des conflits militaires, et la façon dont l’humour constitue une arme de choix pour ceux et celles qui refusent de se résigner.
La déconfiture, de Pascal Rabaté. Publié aux éditions Futuropolis, 216 pages.