Il y a quelque chose de pourri dans le milieu de l’humour, au Québec. Bon, il y a quelque chose de pourri à bien des endroits, mais le milieu québécois de l’humour, avec ses vedettes rendues célèbres parfois du jour au lendemain, et souvent avec des comportements répréhensibles, semble malheureusement faire école. L’auteur Jean-Philippe Baril Guérard s’y attaque à coup de fusil à pompe dans Haute Démolition, récemment publié aux Éditions de Ta mère.
Raph Massi n’est pas populaire. Du moins, pas assez pour que sa carrière d’humoriste finisse par lever. Dans l’ombre de ses amis depuis qu’il a fini sa formation à l’École nationale de l’humour, voire même avant cela, le jeune homme finira par rencontrer Laurie, une jeune femme dont il tombera follement amoureux.
À partir de ce moment, tout ira pour le mieux: sa carrière décollera, son couple sera plus que solide, sa vie ne sera plus que bonheur… Sauf que non. Laurie le laisse et Raph tombe dans une spirale de colère, peine et alcoolisme frôlant la maladie grave.
Les premières pages de Haute Démolition pourraient donner envie de se prendre d’amitié pour Raph, de se porter instinctivement à sa défense. D’autant plus que le jeune homme, autrefois martyrisé, insulté, voire même battu à l’école secondaire, semble avoir trouvé dans l’humour l’antidote à sa gêne et son mal de vivre adolescent. Mais il n’en est rien.
Non seulement parce que la quatrième de couverture met le lecteur en garde – « Et, comme tout le monde, ça va me faire plaisir de t’aider à devenir un monstre », peut-on y lire –, mais aussi parce qu’en abordant la question des agressions sexuelles et des comportements plus que déplacés dans le milieu de l’humour, avec l’omerta tacite des autres acteurs du milieu, l’auteur s’attaque de fait à toute cette structure moisie et chambranlante qui se rapproche toujours un peu plus de l’effondrement à chaque dénonciation.
De fait, il n’y a pas de bon personnage, dans cette histoire. Ni Raph, qui était déjà alcoolique et légèrement sociopathe avant même de connaître la gloire, ni ses amis, ni les gérants et producteurs, ni le public, en fin de compte, qui remplit les poches de tout ce beau monde.
Ce journaliste aura plusieurs fois eu l’envie de crier à Raph de prendre sur lui, de cesser de fréquenter des gens toxiques, d’accepter ses forces et ses faiblesses et d’établir une véritable communication, plutôt que de se réfugier dans les plaisirs éphémères. Il est assez rare, en fait, d’éprouver majoritairement de la peine et du mépris pour un protagoniste, plutôt que de tomber carrément dans l’horreur ou de la peur, dans le cas d’une véritable « mauvaise personne »; le sentiment est d’ailleurs assez désagréable.
Tout cela vient sous-tendre le talent de l’auteur: en présentant des personnes aux traits malheureusement réalistes, Haute Démolition tient davantage du roman-vérité que de la fiction, et c’est tant mieux. La réflexion sur les risques étroitement associés au vedettariat n’est certainement pas terminée, et le roman de Jean-Philippe Baril Guérard représente une étape de plus de ce processus.