Ce ne sont pas les décors ou les costumes du début des années 1950 qui attirent d’abord l’œil, dans No Sudden Move, le plus récent film du réalisateur Steven Soderbergh. Ce n’est pas non plus cette atmosphère d’opportunité mâtinée de violence et de tristesse qui semble être omniprésente dans le Detroit de 1951, ou encore le racisme latent. Non, c’est un effet de caméra.
Le bien connu réalisateur américain, dans ce drame aux accents de film de gangsters, semble en effet s’être pris d’intérêt pour les lentilles entraînant un effet de gauchissement aux extrémités. Est-ce un hommage aux caméras de cinéma de l’époque? Quoi qu’il en soit, cela donne l’impression de regarder un film à travers une membrane supplémentaire, une sorte de couche visuelle s’ajoutant à celle, bien physique, de l’écran de notre téléviseur, de notre écran d’ordinateur, ou encore de la toile d’une salle de cinéma.
Et c’est avec cette impression bien en tête – difficile d’y échapper, après tout, surtout lorsque la caméra se déplace le long de bâtiments, et que les perspectives deviennent soudainement quelque peu psychédéliques sur le pourtour de l’action – que l’on plonge dans cette histoire évoquant un peu les joyeusetés bordéliques de la série Ocean’s Eleven et ses suites, où chaque personnage semble avoir sa structure scénaristique à lui.
Cette fois, cependant, pas question de gags, ou encore de quiproquos sympathiques; des gens vont mourir, que ce soit pour avoir trahi d’anciens patrons au moment d’accomplir des missions pour la pègre, ou encore parce qu’ils se trouvent simplement au mauvais endroit, au mauvais moment.
Une étrange mission
Curt Goynes et Ronald Russo (Don Cheadle et Benicio del Toro), chacun avec ses propres problèmes, sont embauchés pour une mission tout à fait simple en apparence : surveiller la famille de Matt (David Harbour) pendant que celui-ci récupère d’importants documents chez son patron, au sein de General Motors.
Les choses se mettent toutefois à déraper assez vite, et on ne comptera plus les revirements de situation, les trahisons, les fusillades et les cadavres qui s’accumuleront.
Avec une distribution rassemblant certains des grands noms du cinéma des dernières années, y compris dans les rôles de moindre importance, comme ce policier joué par Jon Hamm, ou encore Brendan Fraser en homme de main à qui le contrôle de la situation échappe rapidement, No Sudden Move semble tenir à la fois de l’hommage aux films d’époque et du projet sympathique où les acteurs, tous amis (ou presque), décident de se retrouver sur un plateau pour passer du bon temps.
Il faut voir Bill Duke et Ray Liotta jouer des bandits, ou encore Matt Damon, dans un rôle qui ne le sortira pas beaucoup de son ordinaire, en dirigeant d’entreprise minutieux. Chacun semble bien à sa place, un avantage que n’obtiennent pas toujours les films à grande distribution.
Mais avec ces multiples déclinaisons scénaristiques, on semble se perdre dans les méandres d’une histoire qui devient complexe à comprendre. Entre le type désirant racheter un terrain, l’autre qui veut simplement refaire sa vie, celui qui voulait quitter sa femme pour sa maîtresse, ou encore la jeune femme esseulée exaspérée des frasques de son mari… les manigances se multiplient, mais pas nécessairement notre capacité de toutes les saisir dans leur intégralité.
Voilà donc où nous en sommes: avec un film franchement bien solide, mais qui a tendance à peut-être trop compliquer les choses pour son propre bien (et le nôtre). Le visionnement de No Sudden Move est toutefois solidement recommandé, ne serait-ce que pour s’installer et apprécier confortablement cet exercice de style plus que réussi.