La COVID-19 laissera un héritage à la recherche québécoise: une « banque biologique » qui, forte de dizaines de milliers d’échantillons prélevés sur des milliers de patients, pourrait permettre de mieux comprendre ce coronavirus… et permettra peut-être de mieux combattre les suivants.
« Nous avons profité de tout ce qui a été mis en place: échantillons de qualité, recrutement de patients, consentements rapides », résume la chercheuse du Centre de recherche du CHUM, Catherine Larochelle. « Nous avons pu mener nos travaux à bien grâce à cette biobanque et montrer quels étaient les biomarqueurs associés à la sévérité de la COVID-19.»
Son étude publiée récemment, qui compare notamment des patients atteints d’autres maladies développant des inflammations (comme les pneumonies) avec des patients atteints de la forme sévère de la COVID, n’aurait pas été possible sans cette banque. « Nous avons identifié des changements importants qui n’étaient pas seulement liés à l’âge —des différences du côté des cellules myéloïdes et des lymphocytes. Cela nous a permis de comprendre la grande réponse inflammatoire et le manque de régulation du système immunitaire chez certains patients, particulièrement d’associer des facteurs génétiques et environnementaux à l’hypertension ou à l’obésité », explique la chercheuse.
La « Biobanque québécoise de la COVID-19 », ou BQC19, « a été créée dans l’urgence alors que la Covid frappait fort », explique Ma’n H. Zawati, coauteur d’une récente étude la présentant. « Il a fallu gérer les aspects éthique et de consentement très rapidement. Tout cela dans la limitation des contacts, ce qui a été assez stressant », poursuit le directeur exécutif du Centre de génomique et de politiques du Département de génétique humaine de l’Université McGill.
Soutenue par le Fonds de recherche du Québec en santé et Génome Québec, et aussi l’Agence de santé publique du Canada (PHAC), la BQC19 comprenait 21 096 échantillons biologiques en date du 5 juillet — plasma et sérum sanguin, ARN et ADN, urine et selles de personnes infectées —, mais également des données médicales et démographiques récoltées auprès de près de 3000 Québécois touchés par la Covid-19, hospitalisés ou non et positifs ou pas.
Au cœur de la crise sanitaire
Le travail sur le terrain pour constituer cet outil n’a pas été facile, explique le directeur de la BQC19 et professeur agrégé au département de médecine de l’Université McGill, Simon Rousseau. Par exemple, le consentement a été le plus souvent verbal et par téléphone. « Nous avions un besoin immédiat de collecter des échantillons et des données sur cette nouvelle maladie. Cela a été très complexe pour les équipes cliniques des hôpitaux. Un énorme défi de logistique, particulièrement lors de la première vague qui touchait très durement une population plus âgée. »
La sélection des participants a dû s’adapter aux contraintes de l’urgence sanitaire et au manque de documentation sur cette nouvelle maladie. Du côté technique, il était très difficile d’avoir accès à des échantillons du nasopharynx – du haut du pharynx, derrière le nez – parce qu’ils étaient réservés pour le criblage et les tests. Du côté des enfants, moins touchés par la Covid, il a été plus difficile d’avoir des échantillons pédiatriques.
La même chose du côté des échantillons post-mortem qui sont en plus petit nombre au sein de la biobanque, en raison d’un petit nombre de décès parmi les participants à la collecte. Une bonne nouvelle pour eux, mais une information manquante pour la biobanque, ajoute le chercheur.
Pour les patients hospitalisés, le taux de participation atteint 75,4%, ce qui est assez rare avec de telles banques, atteignant même 80% chez les personnes non hospitalisées. Des données médicales importantes ont également été compilées —âge, sexe, état de santé lors de l’admission, analyses sanguines, poids, comorbidité, etc. – et forment un portrait clinique assez détaillé de chaque cas, ce qui sera utile à des chercheurs d’ici et d’ailleurs.
Au service de la recherche
« C’est un projet sociétal très gratifiant et une belle motivation pour la jeune chercheuse que je suis, de travailler avec des chercheurs renommés autour d’une ressource importante et libre d’accès », s’exclame la professeure adjointe au département de pharmacologie-physiologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke —campus Saguenay, Karine Tremblay. Saguenay est l’un des trois sites de collecte de BQC19, avec Montréal et Sherbrooke.
« Nous avons pris modèle sur ce que faisait le Pr Alain Piché du CHUS, qui recrutait des patients pour une autre biobanque en Estrie, modèle que nous avons adapté au contexte du Saguenay. La santé publique régionale proposait aux personnes testées positives de participer à la constitution du matériel de la biobanque », explique Karine Tremblay.
Spécialiste du cancer ovarien, le Dr Alain Piché est en fait à la tête de plusieurs biobanques au Québec —des cancers du sein et des ovaires dans le réseau RRCancer, et du cancer de la prostate pour l’organisme PROCURE. Il est devenu le gestionnaire de la mise en place de l’antenne sherbrookoise de la BQC19.
Cette histoire de collaborations multiples (hôpitaux, santé publique, patients, chercheurs, etc.) a permis de collecter des échantillons de tout le Québec. Dont 220 au Saguenay, sur près de 3000 participants.
Karine Tremblay, en plus d’être responsable du sous-comité des communications de la BQC19, est aussi coauteure de deux recherches sur la COVID-19 – en attente de publication. « Mon travail en pharmacogénétique pourrait contribuer à l’élaboration de médicaments tenant en compte la variabilité des réponses au SRAS-CoV-2 », soutient-elle.
Une biobanque transparente et pérenne
De nombreux chercheurs internationaux ont déjà fait des demandes pour un accès à la BQC19. Ce qui prend une bonne infrastructure avec une procédure claire. L’indépendance de la banque et la protection des données personnelles s’avèrent aussi des enjeux importants. Le Pr Zawati assure que le contrat d’accès des chercheurs-utilisateurs assure que ceux-ci « n’ont pas la capacité d’identifier les participants ».
Par ailleurs, « nous voulons aussi montrer au public ce qu’on fait », ajoute-t-il. Beaucoup de fausses informations sur la COVID circulent sur les réseaux sociaux, c’est pourquoi l’équipe québécoise tient à montrer de l’information vulgarisée et validée par les chercheurs eux-mêmes. « C’est important qu’ils présentent leur projet de manière claire et nous tenons aussi un registre de tous les projets de recherche qui vont se faire à partir de la BQC19 ».
Enfin, les concepteurs de la BQC19 souhaitent que cette plateforme soit pérenne. Contrairement à des biobanques populationnelles qui suivent les populations de 20 à 50 ans, celles centrées sur une maladie comportent de plus grandes cohortes de participants. Or, les suivre pendant l’après-pandémie pourrait aider à prévenir les prochaines. « Nous avions perdu de l’intérêt pour le précédent coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère, celui de 2002 (SRAS-CoV-1), et nous nous en mordons un peu les doigts aujourd’hui. Beaucoup de personnes ont rapporté des symptômes durables et il importe d’être capable de bien comprendre ce qui s’est passé et se passera encore », relève le Pr Rousseau.
Mieux cerner ce qui se passe entre l’infection virale et le système immunitaire: « Quels sont les marqueurs qui font qu’une personne développe des symptômes sévères ou pas, de la COVID longue ou non? Cela reste encore peu connu et de nombreuses études vont pouvoir être menées grâce à la BQC19 », affirme Karine Tremblay.