Bien des amateurs d’exploration spatiale ont envié le milliardaire Jeff Bezos lorsqu’il a annoncé au début de juin qu’il serait le premier « touriste » à faire partie du premier vol suborbital de la fusée de sa propre compagnie, Blue Origin — le 20 juillet si tout va bien. Mais la facture écologique pourrait être élevée, et pas juste pour Blue Origin.
C’est en effet une facette de cette histoire qui est généralement laissée de côté, tant les projecteurs sont braqués sur les noms de ceux et celles qui seront les premiers « touristes spatiaux » —ou plus exactement, les premiers de ce qui pourrait être une nouvelle ère, celle des voyages dans l’espace gérés par des compagnies privées.
Dans un texte d’opinion publié en septembre 2020, trois chercheurs français y allaient de quelques calculs approximatifs destinés à donner un ordre de grandeur. Un vol complet de la fusée Falcon 9, de la compagnie SpaceX, par exemple jusqu’à la station spatiale internationale, « émettra 1150 tonnes de CO2, l’équivalent de 638 ans d’émission d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an ».
Autre comparaison, faite en 2019: rien que le lancement d’une fusée Space X émettrait autant de CO2 qu’un vol transatlantique en avion avec 340 personnes à son bord.
Ces calculs sont toutefois faussés par le fait que les astronautes envisagés par SpaceX sont, pour l’instant, tous des professionnels qui s’en vont séjourner sur la station spatiale internationale: avec ou sans SpaceX, ce sont des vols qui auraient eu lieu, soit avec des fusées russes Soyouz, soit avec l’éventuelle future fusée SLS de la NASA.
Mais il n’en demeure pas moins que l’ambition affichée par le créateur de SpaceX, le milliardaire Elon Musk, est d’aller au-delà d’un service de « taxi » vers la station spatiale, et de développer le marché du tourisme spatial. On ignore combien de personnes aujourd’hui ont déjà acheté un billet, sans même savoir si et quand aura lieu « leur » lancement. Mais trois de ces personnes auraient payé 55 millions $ chacun pour un séjour d’une semaine sur la station spatiale prévu pour 2022.
Entre 2001 et 2009, huit « touristes », dont le Québécois Guy Laliberté, avaient payé entre 20 et 35 millions$ pour faire un aller-retour jusqu’à la station spatiale en compagnie des astronautes de la fusée russe Soyouz.
Mais on peut être plus modeste, ne pas se rendre jusqu’à la station et se contenter d’un vol suborbital comme celui que va faire Jeff Bezos: c’est-à-dire que la fusée parcourt une longue courbe qui la ramène sur Terre, sans jamais avoir atteint la vitesse nécessaire à une mise en orbite, mais tout en dépassant l’altitude de 100 km, la « frontière » symbolique de l’espace. Les passagers se retrouvent en apesanteur pendant quelques minutes. C’est l’option que proposera Blue Origin, et c’est également celle du SpaceShipTwo de la compagnie Virgin Galactic, troisième larron de l’éventuel tourisme spatial. Coût d’un billet chez ce dernier: 250 000$. Blue Origin n’a pas annoncé le prix des futurs billets.
Or, selon le rapport d’évaluation environnementale du SpaceShip Two produit par Virgin Galactic elle-même, chaque vol émettrait 27,2 tonnes de CO2. À raison de six passagers par vol, cela représenterait 4,5 tonnes par passager, ou deux fois le « budget » CO2 que chaque personne devrait s’autoriser si elle voulait respecter l’objectif des 2 degrés Celsius d’augmentation. À titre de comparaison, écrivent les trois chercheurs français, 4,5 tonnes équivaut à faire le tour de la Terre, seul dans une voiture moyenne.
Mais au final, l’impact carbone réel dépendra du développement ou pas de cet éventuel marché. S’il ne s’agit que de quelques vols par an — une possibilité, vu le coût des billets — l’impact sera négligeable à côté de celui des transports routiers actuels. Mais pour l’instant, les trois milliardaires semblent y croire suffisamment pour parler d’hôtels dans l’espace… voire de touristes en orbite lunaire.