La découverte d’un corps dans un fossé, par des travailleurs de la construction près du village de Great Casterton, dans la région britannique des Midlands, jette un nouvel éclairage sur l’esclavage pratiqué par les Romains au Royaume-Uni. Une nouvelle analyse du squelette et de la façon de l’enterrer a révélé que le corps était probablement celui d’un esclave mort au 3e siècle de notre ère.
Bien qu’il soit impossible de déterminer clairement la cause du décès, le squelette portait des marques de blessures traumatiques dont l’homme s’était remis. On n’a pas trouvé de cercueil, ni de biens qui auraient été enterrés avec le défunt; de plus, la tombe était peu profonde, et a été creusée dans un fossé. Le corps n’était pas non plus étendu tout du long, comme le voulait la tradition romaine. Et des menottes avaient été passées aux chevilles de l’individu, menottes que les gens ayant enterré le corps n’ont pas jugé utile de retirer.
Toutes ces preuves tendent à confirmer qu’il s’agissait d’un esclave, affirment les chercheurs Chris Chinnock et Michael Marshall, tous deux liés à l’Université Cambridge.
Ces derniers rappellent que l’histoire a tendance à souligner les contributions positives de l’Empire romain: les routes, les villes, les aqueducs… S’il est vrai que le règne romain a transformé le paysage européen, y compris au Royaume-Uni, les envahisseurs italiens ont aussi apporté avec eux une nouvelle économie, en plus de forcer l’imposition de leur système d’exploitation, qui comprenait de l’esclavage.
Des soldats et des esclaves
Il semble probable que les premiers esclaves romains en territoire britannique soient arrivés en même temps que l’invasion, en 43 avant notre ère. Les soldats les plus riches avaient des esclaves pour s’occuper d’eux. Les officiers, eux, sont venus avec leurs esclaves domestiques pour non seulement servir à nouveau de domestiques, mais aussi comme personnel administratif. Et à mesure que l’empire prenait de l’expansion sur ce nouveau territoire, des marchands sont arrivés du continent et d’ailleurs, eux aussi accompagnés d’esclaves pour s’occuper des tâches ménagères et commerciales.
L’esclave de Great Casterton a peu de chances de provenir de cette tranche de la population mise en esclavage. Les bracelets à ses pieds et ses blessures portent à croire que la dépouille était celle d’un travailleur manuel. Les Romains enchaînaient une partie de leurs travailleurs agricoles; cet homme était donc probablement assigné aux champs, employé sur les terres de l’un des grands domaines qui prenaient de l’expansion dans le Sud du Royaume-Uni au cours du 3e siècle de notre ère.
Les historiens ont associé l’esclavage de masse par Rome avec la période d’expansion impériale, allant d’environ 200 avant notre ère à l’an 100 de notre ère. Les populations étaient effectivement un élément important de la richesse extraite par les Romains à l’intérieur de leurs territoires conquis. L’abondance de la main-d’oeuvre forcée et son côté abordable a permis le développement de grands domaines gérés par des esclaves, et ces derniers sont devenus omniprésents en Italie.
L’esclave de Great Casterton, cependant, se retrouve à l’extérieur de cette période et provient des franges de l’empire romain. Sa présence ne découlait pas d’une campagne militaire, mais d’un système économique qui dépendait de l’esclavage, et maintenait donc la traite de ces travailleurs forcés, écrivent les chercheurs.
L’esclavage à travers les âges
À l’image de la traite d’esclaves dans l’océan Atlantique, les Romains ont développé leur système esclavagiste à partir d’une série d’opportunités commerciales, une demande pour de la main-d’oeuvre et une volonté de faire appel à la violence de l’esclavage.
Des profits ont été réalisés à partir de l’exploitation commerciale de la population esclave; les Romains ont certainement employé des salariés pour entretenir des domaines, mais les esclaves doivent avoir offert des avantages aux grands propriétaires terriens.
L’utilisation des esclaves enchaînés semble avoir été limitée à certaines régions, mais on sait qu’ils se trouvaient notamment en Italie, en Gaule, et maintenant probablement au Royaume-Uni. Jusqu’au 5e siècle, les grands domaines exploités par des esclaves étaient un aspect important de l’empire.
Il est possible d’assumer, à l’instar de la traite négrière des siècles plus tard, que le système dépendait du très faible coût des esclaves dont le côté remplaçable permettait une exploitation extrême. Aux 17e et 18e siècles, les populations africaines sub-sahariennes pouvaient être largement réduites en esclavage, et ce à faible coût. Durant l’époque de l’expansion impériale de Rome, des populations entières étaient réduites en esclavage et vendues dans les marchés méditerranéens, comme sur l’île grecque de Delos.
Plusieurs de ces esclaves ont été transportés en Italie, et fournissaient la main d’oeuvre qui a permis à l’élite romaine de s’enrichir grâce à leurs vastes domaines. Il est cependant plus difficile de déterminer l’origine des esclaves vers la fin de l’Empire romain. Malgré tout, ils étaient partout: un recensement effectué en Égypte révèle que plus de 10% de la population était composée d’esclaves. Il serait possible d’imaginer que ce taux était encore plus important dans l’ouest de l’empire.
La demande pour des esclaves était telle que des flottes entières de pillards et de bandits sillonnaient les mers, souvent bien au-delà des limites de l’empire, pour fournir cette main-d’oeuvre tant désirée. De fait, l’esclavage de masse était essentiel pour le bon fonctionnement de l’économie romaine.
En ce qui concerne l’esclave retrouvé au Royaume-Uni, jeté dans un fossé à quelques mètres seulement d’un cimetière, l’homme s’est vu refuser une vie digne autant dans la vie que dans la mort, et sert maintenant de martyr de la civilisation qui l’a battu, enchaîné et finalement abandonné sur le côté d’une route.