L’argument est connu, mais pourtant, il frappe. Ou, plutôt, les arguments sont connus, mais leur impact est tout aussi dévastateur. Est-ce la faute de la pandémie? Est-ce la faute de l’actuel gouvernement? Ou est-ce plutôt que le point de rupture est atteint? Quoi qu’il en soit, Le virus et la proie, une oeuvre de Pierre Lefebvre et Benoît Vermeulen présentée dans le cadre de l’édition 2021 du Festival TransAmériques, fait mal. Mais mal dans le bon sens, si tant est que cela soit possible?
L’argument est connu, oui, car il est immémorial: les faibles écrasés par les forts. La « logique » doctrinaire d’un système voué à avantager les nantis au détriment des pauvres de la classe paysanne, des gagne-petit, des moins que rien, des mal ou peu instruits, des rêveurs, des idéalistes.
Sur scène, cependant, le réquisitoire prend vie de façon spectaculaire par les bouches de quatre comédiens, quatre interprètes fantastiques: Étienne Lou, Alexis Martin, Dominique Pétin et Ève Pressault. Tour à tour, ils et elles endossent les rôles des négligés de la société. Ou peut-être même pas des négligés, tiens: simplement ceux qui se retrouvent dans la moyenne, ou tout juste en dessous. Ceux qui gagnent peut-être un salaire décent, mais qui n’arrivent pas à économiser, ou certainement pas à mettre assez d’argent de côté pour acheter une propriété – mais qui sont tout à fait qualifiés pour continuer de payer des loyers exorbitants pour des logements parfois insalubres ou trop petits.
Ceux qui sont éduqués, mais pas dans le « bon » domaine; ceux qui rêvent de poésie, de littérature, d’arts ailleurs que seulement sur les planches. Ceux qui pensent autrement que sous la forme d’autoroutes, de béton et d’investissements massifs dans les infrastructures pour relancer la sacro-sainte économie. Ceux qui rêvent de soins de santé moins monolithiques, plus à l’écoute des gens. Ceux qui voudraient bien autre chose que des pubs de VUS à la télé.
On pourra toujours déplorer l’absence de décor ou de véritable mise en scène dans cette oeuvre. De fait, la captation réalisée dans l’Édifice Wilder, au centre-ville de Montréal, permet de voir simplement les quatre comédiens, assis sur des chaises, qui prennent tour à tour la parole. Normal, dirons-nous, puisqu’il s’agit d’une « simple » lecture. Bien entendu, cela n’empêche pas nos comédiens de s’emporter ponctuellement, de se lever, de faire quelques pas.
Ce dénuement est à la hauteur, paradoxalement, de la colère qui habite nos personnages. Une colère sourde, celle des gens résignés qui gardent malgré tout un soupçon d’espoir. La colère de ceux sur qui s’abat toute la misère du monde, encore et encore, pendant que les riches et les puissants se remplissent les poches et la panse.
Pourtant, Le virus et la proie, malgré son titre frondeur, ne lance pas un appel à la révolution. Du moins, pas à la révolution violente. On espère plutôt une révolution humaine, si l’expression existe?
L’oeuvre a le « plaisir » de nous rappeler à quel point notre système est dysfonctionnel. Heureusement, elle nous laisse aussi entrevoir un autre monde. Un monde où tous seraient (un peu) plus égaux.