Dans la taïga, des hommes lancés à la poursuite d’un criminel échappé d’un goulag stalinien. Mais dans cette taïga, justement, dans cet Archipel d’une autre vie, le véritable bandit ne serait pas l’évadé, mais plutôt les soldats désirant lui mettre la main au collet.
Sous la plume de l’auteur Andreï Makine, lui-même originaire de Sibérie, l’Extrême-Orient soviétique du début des années 1950 devient donc un terrain de chasse lent, mais particulièrement mortel. Cette course-poursuite dans la forêt s’effectue alors que Pavel Gartsev, rencontré quelques années plus tard par le protagoniste du roman, en finit par constater qu’il tente en fait d’échapper lui-même à l’appareil répressif stalinien, plutôt que de recapturer un fugitif qui prend un malin plaisir à narguer ses poursuivants.
Makine, écrivain immortalisé au sein de l’Académie française (rien de moins!), offre ici un ouvrage atmosphérique, une oeuvre d’ambiance. Le lecteur évolue lentement, difficilement à travers les pièges que la nature dresse devant ces soldats fouettés par l’officier politique qui ne recule devant rien pour asseoir son autorité.
Ce qu’Andreï Makine place en opposition, c’est ce désir de la loi et l’ordre, ce rêve de normalité horriblement défigurée et la nature vierge et la liberté qu’elle implique. Si établir une relation entre nature, amour et pureté peut sembler parfois puéril, particulièrement lorsqu’il est question de la « corruption » et de la « contamination » de la société par la modernité et la civilisation humaine, l’auteur réussit à demeurer sur l’étroite ligne entre le fait de raconter une histoire et de prêcher dans le désert. Ou plutôt dans la taïga.
De fait, les personnages de L’archipel d’une autre vie se rappellent avec nostalgie une époque qui n’a jamais vraiment existé. Qu’y avait-il, avant les purges staliniennes des années 1950? La Deuxième Guerre mondiale? Et avant cela, les purges staliniennes des années 1930? Autant chez les tenants de l’écrasement de la liberté sous la botte du communisme radical que chez les partisans d’un retour à une nature sans doute jamais touchée par la main de l’homme depuis la nuit des temps, on vogue donc dans l’illusion, dans le rêve.
Ultimement, le « progrès » finira par l’emporter. Mais est-ce vraiment le cas? Makine propose une réflexion sur la transformation de notre existence, et les décisions « extrêmes » auxquelles peuvent être contraintes les personnes désirant vivre une existence séparée de leurs congénères. Même si cela est à toutes fins pratiques impossible.
L’archipel d’une autre vie, d’Andreï Makine, publié aux Éditions du Seuil, 282 pages.