Une étude, voire une expérience autant pour le public que pour l’interprète: le spectacle Se dissoudre, la plus récente création solo de la chorégraphe Catherine Gaudet, était présentée la semaine dernière à l’Agora de la danse. Dans un contexte d’appel à se laisser aller, en quelque sorte, alors que nous sommes « pris dans un étau entre un passé révolu et un futur incertain », dixit le communiqué de presse, Mme Gaudet a accepté de répondre à nos questions. Rencontre.
« Nous avons commencé à travailler sur ce spectacle en 2019 », indique la créatrice au bout du fil. « C’était un moment où j’avais une résidence à la Maison de la culture Mont-Royal… Il nous était arrivé de travailler ensemble, Marie-Philippe (Santerre, l’interprète du spectacle, NDLR), mais je me suis dit que nous allions travailler sur une recherche solo, sans avoir aucun but de production. »
« À ce moment-là », poursuit-elle, « nous nous sommes mises à explorer le développement d’un même mouvement… comment se développerait-il si nous le laissions évoluer, se transformer de lui-même? ».
Il n’était donc pas question « d’y mettre une volonté quelconque, ou de le diriger », indique Mme Gaudet, mais plutôt « en le laissant être influencé par les forces à la fois intérieures et extérieures, et donc de voir son évolution naturelle. Disons, par exemple, à force de répéter le mouvement, il y a une fatigue qui s’installe. Cela ferait que Marie-Philippe effectuerait un changement de poids, il y aurait un déplacement, le corps changerait de position d’une certaine façon. Nous sommes entrées dans cette recherche très simple, qui portait uniquement là-dessus ».
Après deux semaines, la créatrice et son interprète ont réalisé que ces réflexions « donnaient une matière super intéressante qu’on aimait beaucoup ». L’oeuvre a par la suite été laissée « en jachère » jusqu’à ce que l’Agora de la danse propose à Mme Gaudet de présenter son oeuvre. « Nous avons alors ressorti le matériel de notre tiroir et avons continué de chercher. »
Le titre de l’oeuvre, Se dissoudre, ferait ainsi référence non pas au fait de disparaître, précise la chorégraphe, ou encore de voir la chose de manière péjorative, mais plutôt « s’abandonner à ces forces qui nous bougent en dehors de notre volonté ».
L’influence discrète de la pandémie
Si elle affirme que la COVID-19 ne devait pas être abordée « du tout, du tout » dans son oeuvre, Catherine Gaudet précise que « l’année dernière, au premier confinement, il y avait énormément de bruit ambiant, une sorte de surcharge d’information, de panique générale, et en contrepartie de ça, le fait de replonger dans ce travail-là, avec Marie-Philippe, m’a fait m’attacher très fortement à l’idée de voir se développer une idée, une chose à la fois ».
« Il y avait un besoin très fort, qui était là avant la COVID-19, d’entrer dans un état d’esprit contemplatif… Je m’intéressais beaucoup au fait de traiter la question du temps de manière hypnotique, soit essayer de faire en sorte que le rythme de la pièce entraîne le spectateur et l’interprète dans un genre de rituel hypnotique. C’est une préoccupation artistique qui était là avant la COVID-19, mais on dirait, justement, que ça a été amplifié par ce bruit ambiant tellement trop présent pour moi, on dirait que ça m’a radicalisée dans mon besoin de contemplation », a poursuivi la chorégraphe.
Cette dernière précise par ailleurs avoir effectué, depuis 2017-2018, « un virage important dans sa démarche, c’est-à-dire que depuis mes premières chorégraphies (il y a une vingtaine d’années maintenant, NDLR), je voulais donner du sens. Pas nécessairement du sens narratif, mais j’avais beaucoup de difficulté avec le mouvement pour le mouvement, avec l’abstrait ».
La créatrice a ainsi développé une manière d’écrire « qui traitait beaucoup de l’affect vécu par les interprètes… Cela donnait un aspect plus théâtral, sans non plus aller dans un discours narratif ».
« Il s’est passé quelque chose que je n’arrive pas à nommer encore avec la création de ma dernière pièce, où j’avais besoin de traiter l’espace autrement, traiter le temps autrement. J’avais besoin de simplifier, d’entrer dans un minimalisme où les choses se développaient plus lentement. Cela a fait que tout ce travail sur l’affect ou les états de corps, c’est demeuré, mais on dirait que ça s’est condensé, réduit comme une sauce. Il y en a moins, mais ça demeure très concentré. Tout est quand même là. »