Des quelque 400 scénarios climatiques évalués dans le cadre du rapport sur le réchauffement de 1,5 degré Celsius présenté par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à peine une cinquantaine permettent d’éviter de dépasser ce seuil souhaité par les environnementalistes. Et seulement une vingtaine avancent des hypothèses « plausibles » en matière de réduction des émissions polluantes. De quoi faire dire aux chercheurs, dans le cadre d’une nouvelle analyse du Postdam Institute, que la planète a de très fortes chances de franchir la limite de 1,5 degré.
Si tous les « leviers » de mitigation climatique, il pourrait encore être possible de limiter le réchauffement mondial sous la barre de 1,5 degré établie dans l’Accord de Paris sur le climat, le seuil à partir duquel les impacts des changements climatiques seront particulièrement importants, voire catastrophiques.
« Les scénarios d’émissions diffèrent en fonction de leur recours à chacune des cinq catégories de moyens de réduction des émissions sur lesquels nous nous sommes penchés », mentionne la principale auteur de l’étude, Lila Warszawski. « Aucun de ces scénarios réalistes ne s’appuie sur une seule solution miracle. »
« Le secteur énergétique est essentiel pour atteindre la cible de 1,5 degré, bien sûr, avec d’un côté une baisse de la demande, et de l’autre, une décarbonisation de l’utilisation et de la production de l’énergie », a poursuivi la chercheuse.
« Mais nous ne pouvons éviter les autres stratégies. Retirer le carbone de l’atmosphère et par exemple le fait de le stocker dans le sous-sol s’avère aussi presque indispensable. L’utilisation des terres doit permettre d’emmagasiner du carbone, possiblement en récréant des zones humides, ou en plantant des arbres. Enfin, les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre, doivent être réduit dans le contexte de l’élevage, mais aussi lors de fuites associées à l’exploitation pétrolière et gazière. C’est une sacrée liste. »
Les scientifiques se sont appuyés sur des travaux existants pour établir la différence entre ce qui est « raisonnable », « demandant » et « spéculatif » dans le contexte de l’utilisation des diverses méthodes environnementales, et ce, d’ici le milieu du siècle.
Un défi triple pour l’humanité
« Il existe un besoin d’une accélération immédiate des gestes posés à travers le monde pour réduire les émissions de GES par tous les moyens existants », soutient le coauteur des travaux Tim Lenton, de l’Université d’Exeter. « Nous avons besoin d’une révolution durable pour rivaliser avec la révolution industrielle. Autrement, les gens les plus vulnérables face aux changements climatiques encaisseront le plus gros du choc qui surviendra lorsque nous raterons la cible de 1,5 degré Celsius. C’est un défi pour l’ensemble du système – des actions à la pièce et des engagements rhétoriques ne seront pas suffisants. »
« L’humanité est confrontée à un triple défi pour stabiliser le climat mondial sans trop dépasser la cible de 1,5 degré », affirme un autre coauteur, Nebojsa Nakicenovic, de l’International Institute for Applied Systems Analysis.
« Le premier consiste à réduire de moitié les émissions de moitié à chaque décennie, ce qui représente un effort herculéen et une révolution en matière de décarbonisation en se débarrassant des combustibles fossiles, un gigantesque bond en avant en termes d’efficacité et d’autosuffisance, et des comportements et des régimes bénéfiques pour le climat; le deuxième tourne autour du fait de retirer le carbone de façon verte, en plantant des arbres et en changeant l’utilisation des sols; le troisième défi, enfin, est d’assurer une utilisation sécuritaire des systèmes terrestres qui feront disparaître la moitié des émissions polluantes mondiales de l’atmosphère. »
Des scénarios trop optimistes
Dans le cadre de leur analyse des divers scénarios du GIEC, les chercheurs ont constaté que plusieurs d’entre eux, par la suite jugés trop optimistes pour être réalistes, tendaient à surestimer la capacité des méthodes de captation et de stockage du carbone, tandis que d’autres évoquaient une consommation d’énergie trop importante, ou encore une réduction trop prononcée des GES comme le méthane. Un autre groupe de scénarios, eux, tablent sur des changements alimentaires trop radicaux, ou une limitation brutale de la croissance démographique.
Les auteurs se sont aussi intéressés aux scénarios mis de l’avant par l’Agence internationale de l’énergie, en 2018, ainsi qu’à une projection appelée Sky, qui a été produite par le géant du pétrole et du gaz Shell. Tous ces scénarios envisagent l’atteinte du niveau zéro d’émissions carbone aussi tard que 2070. Aux yeux des chercheurs, ces plans ne correspondent pas à ce qui est envisagé en matière d’émissions de CO2, au cours du prochain siècle, pour respecter la cible de 1,5 degré.
Le scénario de Shell fait aussi état de niveaux d’émissions, en 2030, qui sont bien au-delà des quantités estimées par les autres plans étudiés.
« Le scénario de Shell est appelé « pie in the sky » (en gros, l’élucubration), et c’est ce que c’est », soutient Gail Whiteman, de l’Université d’Exeter, qui cosigne aussi les travaux. « Selon une perspective scientifique, cela est clair. Dans la communauté d’affaires, certains l’aiment parce qu’il semble offrir, en comparaison des autres scénarios, une sortie de crise relativement facile. Notre analyse démontre toutefois que cette sortie de crise facile n’existe pas. »
« Les réductions d’émissions sont difficiles à accomplir, autant sur le plan technique que politique. Elles nécessitent des innovations sans précédent en termes de style de vie et de coopération internationale », conclut un autre coauteur, Johan Rockström.
« Je comprends que quelqu’un puisse penser que nous allons rater la cible de 1,5 degré. Il est aussi clair qu’il faut absolument mettre en place des réductions d’émissions draconiennes. Bien que cela puisse sembler technique, c’est une question d’assurer un futur climatique sécuritaire pour tous. »
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