La première incursion dans le monde de l’animation de l’indescriptible scénariste qu’est Charlie Kaufman, désormais réalisateur, peut paraître simpliste, voire spectaculairement minimaliste aux premiers abords, plus que de coutume en fait. Il ne faut toutefois pas se méprendre ni par aucun cas sous-estimer l’œuvre puisqu’à l’instar de tous ses autres scénarios, une fois le générique tombé, le long-métrage s’immiscera en nous pour nous hanter, et ce, longtemps.
Voilà plus d’une décennie que les chemins de Spike Jonze et Charlie Kaufman se sont séparés. En reprenant les territoires abordés dans le splendide Synecdoche, New York, qui fut finalement sa première expérience de réalisation, s’il redescend à plus petite échelle, dans tous les sens du terme, voilà que Kaufman se permet une réflexion qui, tout en s’appropriant la majorité de ses angoisses habituelles, semble également offrir une alternative à ce que son inoubliable Being John Malkovich insinuait. Et si l’association des deux génies n’a longtemps fait qu’un, d’une certaine façon les deux semblaient s’empêcher de grandir en demeurant dans un univers aussi infantilisant, brutalement réaliste que terriblement mélancolique.
En continuant dans ses délires de créateurs, Kaufman aura donc dû se perdre dans les méandres de la mégalomanie pendant que Jonze aura choisi de se faire grandir concrètement et métaphoriquement dans son mésestimé Where The Wild Things Are. Une fois leur séparation pleinement établie, un déclic fascinant s’est ainsi fait ressentir leur permettant de se découvrir une maturité (et une sexualité) aussi inattendue que remarquable. Si cette dernière s’est dévoilée dans le sublime Herpour ce qui est de Jonze, voilà qu’elle implose avec subtilité dans le Anomalisa que Kaufman a à offrir, livrant à l’aide de Duke Johnson à la coréalisation, une parenthèse brillante sur la normalisation des choses, la banalité du quotidien, oui, mais aussi la nécessité de partager sa vie avec quelqu’un d’autre, mais aussi de choisir avec précision ce quelqu’un.
Voilà alors certainement la proposition la plus romantique de Kaufman depuis son incontournable Eternal Sunshine of the Spotless Mind, tandis qu’une scène semblera d’ailleurs s’en être carrément échappé, de quoi faire trembler les nostalgiques. Puisque dans cette parenthèse aux allures banales, on raconte l’histoire d’un homme blasé qui lors d’un week-end dans une autre ville pour une conférence, trouvera un coup de foudre inattendu qui pourrait le pousser à changer sa perception des choses, tout comme sa vie, à jamais.
Et si le souci du détail reproduit le quotidien avec exactitude, la simplicité étant davantage relevée de par le minimalisme des traits, des formes et des textures, il y aussi cette idée, géniale, qui propose que tout le monde ne soit qu’un, sauf soi. Si autrefois tout le monde rêvait d’être John Malkovich, ici tout le monde est Tom Noonan, et par tout le monde on veut vraiment dire tout le monde, que ce soit hommes, femmes ou enfants, et ça, ce n’est certainement pas de bon augure. C’est donc dans ce beau bordel que le vulnérable David Thewlis craquera inévitablement pour Jennifer Jason Leigh, ce rayon de soleil défiguré et maladroit qui illuminera significativement le quotidien.
Toutefois, roi de l’éphémère et non pas connu pour son optimisme, Kaufman trouvera le moyen en moins de 90 minutes et une temporalité de moins de 24 h, de réfléchir rapidement sur l’avenir incertain d’une relation spontanée. Et c’est dans cette abondance de bizarreries dont lui seul a le secret qu’on finira par prendre son pied, intrigué par cette vision amusante et perturbante de la monotonie de tout un chacun, tout en se laissant envahir par l’expertise du travail sonore judicieusement relevé par les compositions subtiles de Carter Burwell qui se la joue Jon Brion, un collaborateur qu’on a retrouvé souvent par le passé.
L’écoute, ponctuée de son rythme singulier qui nous laisse prendre le pouls de cette vie d’hôtel peu palpitante, semblera alors sans véritable magie, si ce n’est de clins d’œil et de dialogues qui font inévitablement sourire, mais il faudra attendre la tombée a priori précipitée du générique de fin pour recevoir l’immensité du long-métrage tel une brique qui nous assomme comme un éclair de génie. Comme quoi, à l’image de son brillant titre (qui est incroyable que ce soit pour l’une ou l’autre des milliers de raisons qui le justifie), Kaufman aura encore réussi à offrir une (grande) œuvre qui ne s’appréciera que davantage après réflexion. Puisque son génie est toujours impénétrable, puisque trop intelligent pour la simplicité.
Anomalisa laisse ainsi sous-entendre qu’il n’est pas commun et il n’a pas tort. En donnant l’impression qu’il se fond parmi les autres, il a le brio de ressortir de par l’infinité sagesse de la profondeur de sa proposition. Nul doute, Kaufman a encore frappé et peut-être plus qu’on osera se l’avouer.
8/10
Anomalisa prend l’affiche en salles le 15 janvier