Il y a la violence flagrante, les arrestations, voire l’exécution des journalistes. Mais parmi les autres entraves au métier de reporter, révèle un récent rapport de Reporters sans frontières (RSF), le sexisme est l’une des principales barrières à l’exercice de ce travail par des femmes.
Le document, intitulé Le journalisme face au sexisme, évoque ainsi un « double risque » auquel sont confrontées les femmes journalistes, un risque « trop répandu », « non seulement sur les terrains de reportage classique comme sur les nouveaux terrains virtuels, sur internet, mais aussi là où elles devraient être à l’abri, dans leur rédaction ».
Pour faire la lumière sur ce triste phénomène, RSF a posé 30 questions à tous ses correspondants travaillant dans 130 pays, ainsi qu’à des journalistes spécialisés dans les questions de genre. Au total, 136 personnes ont répondu, et 112 témoignages ont été considérés comme valides. Les répondants proviennent principalement de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe.
Les déclarations des journalistes sont parfois étonnantes, mais aussi tristement sans surprise. Comme cette reporter, Laurence Geai, qui se rend sur le terrain et affirme y avoir accès à « la moitié de l’humanité », et « que l’on se méfie toujours moins de nous ». Le revers de la médaille, c’est que « régulièrement, sur le terrain, les hommes te touchent et ont des gestes clairement déplacés ».
Parfois, les événements prennent une tournure dramatique. Comme ce viol et cette tentative de viol commis à l’encontre de deux femmes journalistes, en 2011, en Égypte, qui se trouvait alors en pleine révolution.
« Heureusement, écrit RSF, ce type d’agression reste rare », alors que les viols ne représentent que 7% des violences sexistes ou sexuelles recensées dans le pays d’exercice des journalistes qui ont répondu à l’enquête. Très loin devant, dans 84% des cas, on retrouve le harcèlement sexuel, puis l’agression sexuelle (30%) et la menace de viol (27%).
« Le terrain reste trop souvent considéré comme une affaire d’hommes ou un endroit où les femmes journalistes ne sont pas en sécurité. C’est encore un prétexte fréquemment utilisé pour ne pas les y envoyer, comme le prouvent les réponses à notre questionnaire », lit-on dans le rapport de RSF. Le fait que le reportage terrain soit considéré comme « dangereux » est d’ailleurs invoqué par 45% des participants au coup de sonde, qui jugent que cela constitue du sexisme.
Horreur sur le web
L’internet a non seulement facilité la communication, mais aussi la multiplication des cas de harcèlement. C’est d’ailleurs là que 73% des répondants à l’enquête disent avoir été victimes de violences sexistes, que ce soit via des courriels ou encore des messages sur les réseaux sociaux.
Pour 58% des participants, ces violences se sont aussi manifestées physiquement, sur le lieu de travail; le téléphone est dénoncé par 47% des répondants, alors que le sexisme physique subit dans la rue a été signalé par 36% des gens.
Les violences sexuelles sont aussi présentes dans les salles de rédaction, avec 51% des répondants dénonçant leurs supérieurs hiérarchiques, contre 50% pour des membres du gouvernement, d’institutions étatiques ou de l’armée; pour 46% des participants, ce sont les collègues qui sont à blâmer. La même proportion de gens dénoncent des militants ou des cadres de partis politiques. Et 35% critiquent des personnes interviewées.
Le rapport de RSF fait aussi mention, notamment, des comportements déplorables dans la profession journalistique française. Ainsi, on affirme que « tous les types de médias sont concernés: presse locale, nationale, généraliste, spécialisée, mais aussi les écoles de journalisme ».
Conséquences importantes
Tous ces comportements, tous ces agissements, toutes ces remarques… tout cela a un poids, pour les femmes journalistes. Les répondants sont ainsi 79% à se plaindre de stress provoqué par ces violences, 65% parlent d’angoisse, 54% ont peur de perdre leur travail, 50% évoquent une perte de l’estime de soi, tandis que 49% ont carrément peur pour leur vie.
Par ailleurs, 43% des participants à l’enquête sont allés jusqu’à fermer leurs comptes sur les réseaux sociaux de façon temporaire ou définitive. Quelque 36% des gens ont fait une dépression, et 11% ont déménagé.
Les impacts sont aussi recensés du côté de « l’imperceptible », mentionne le rapport, qui cite la représentante de RSF en Inde, Rituparna Chatterjee: « Plus il y a de femmes au sein d’une rédaction, plus les choses qui impactent intimement les femmes, comme les politiques du corps, sont plus facilement traitées. Mais employer des femmes ne suffit pas. Il faut aussi plus de diversité aux postes à responsabilité. Sans femmes au plus haut niveau des rédactions, ces problèmes deviennent invisibles. »