Alors que le premier volume de L’âge d’or se présentait comme un conte médiéval à saveur féministe, sa conclusion crée une agréable surprise en questionnant la légitimité du pouvoir, et en livrant un puissant message sur les inégalités sociales.
Dans le royaume d’Antrevers, les Seigneurs lèvent continuellement de nouveaux impôts, pendant que les paysans crèvent de faim. Suite à la mort du roi Rohan, sa fille Tilda devait hériter de la couronne, et cette dernière rêvait de soulager son pauvre peuple lorsqu’elle prendrait le pouvoir, mais avec l’appui des nobles de la Cour, son frère Edwald a usurpé le trône, avant de la condamner à l’exil. Le premier tome de L’âge d’or (lire notre critique ici) suivait la quête de la princesse pour mettre la main sur le trésor que son père avait dissimulé à Ohman, et se terminait sur une amère trahison, alors que Bertil, l’un de ses deux fidèles compagnons, la quittait pour rejoindre l’insurrection populaire menée par Hellier le Tabellion.
Lorsque s’amorce ce second volume, l’hiver est arrivé, apportant la guerre avec lui. Tilda assiège le château familial, où est retranché son frère Edwald, mais le trésor qu’elle a découvert est désormais épuisé, et il y a des mois que les mercenaires se battant pour elle n’ont pas reçu leur solde. Le moral des troupes est donc au plus bas, d’autant plus qu’aveuglée par sa soif de pouvoir, la princesse est devenue intransigeante et orgueilleuse. Au risque de perdre la lutte fratricide dans laquelle elle s’est engagée, elle va même jusqu’à refuser une alliance avec les insurgés de la Péninsule, qui ne combattent pas pour un vulgaire trône, mais bien pour un monde égalitaire, où les hommes partageraient tout, l’abondance comme la disette.
Après un premier volume introduisant la croisade d’une jeune guerrière qui, comme Jeanne d’Arc, est la proie des visions prophétiques, L’âge d’or laissait présager une histoire de reconquête d’un royaume par son héritière lésée, mais ce second volume prend une tournure bien différente en montrant que, convaincue de sa légitimité et de sa place sur ce trône qu’elle a reçu en legs, Tilda n’est qu’un autre tyran en puissance. Derrière des allures de conte médiéval, la bande dessinée révèle surtout une vérité intemporelle : peu importe la raison par laquelle il se justifie, le pouvoir s’exerce immanquablement au détriment du peuple, et quel que soit le maître, les pauvres finissent toujours par être obligés de le servir, une leçon beaucoup plus pertinente que le destin de n’importe quelle princesse.
Très artistiques, les illustrations de Cyril Pedrosa dans L’âge d’or évoquent des enluminures modernes. Ses forêts possèdent le côté magique des contes de fées, avec ses arbres noueux serpentant vers le ciel, et l’éclatement de la guerre dans ce second volume lui donne l’occasion de peupler ses pages de centaines de soldats en cotte de maille, de beffrois et de balistes, ou de piles de cadavres transpercés de flèches. Dans un souci du détail extrême, il crée des textures d’une richesse et d’une profondeur inouïe, des brins d’herbe aux briques des châteaux, en passant par les visages burinés ou le motif des vêtements. Il place souvent plusieurs itérations d’un personnage dans une même image afin d’indiquer son mouvement, ce qui dynamise grandement ses cases, et plus proche de l’onirisme que du réalisme, sa coloration sublime rehausse chaque planche.
En plus de ses illustrations d’une beauté exceptionnelle, L’âge d’or parvient à réinventer le conte médiéval en lui insufflant une dimension politique et sociale, et quiconque rêve d’un monde égalitaire, où le peuple ne serait assujetti à aucun souverain, sera séduit par cette bande dessinée aux couleurs de l’utopie.
L’âge d’or – volume 2, de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil. Publié aux éditions Dupuis, 192 pages.