À partir de l’adaptation radiophonique de La Guerre des mondes d’Orson Welles, le premier canular médiatique moderne, la bande dessinée A Fake Story convie les lecteurs à un polar aux apparences trompeuses.
Le dimanche 30 octobre 1938, CBS diffuse l’adaptation radiophonique par le Mercury Theater de La Guerre des mondes de H.G. Wells. Afin de rendre cette invasion extraterrestre plus réaliste, le directeur de la troupe, un certain Orson Welles, a eu l’idée de présenter le drame de science-fiction sous la forme de faux bulletins d’information. Ignorant qu’il s’agit d’une mise en scène, l’hystérie s’empare de plusieurs auditeurs. Le lendemain, les journaux font leurs choux gras des scènes de panique supposément engendrées par la supercherie, même si moins de 2% des foyers américains possédant un poste étaient à l’écoute. Considérant ces articles comme la tentative d’une presse écrite en perte de vitesse pour nuire à la radio, leur principal compétiteur, la station décide d’engager Douglas Burroughs, un ancien journaliste émérite, afin de faire la lumière sur la véracité de ces allégations.
Bien qu’il utilise la diffusion de La Guerre des mondes comme point de départ, l’album A Fake Story pose surtout la question du vrai et du faux, un thème particulièrement d’actualité en cette ère où les « fausses nouvelles » et les théories de complot pullulent. Campée à l’ombre de faits historiques, l’enquête sur Robert Oates, un père de famille qui aurait abattu son épouse et son fils avant de se suicider pour leur éviter d’être massacré par les extraterrestres, revêt toutes les apparences de la vérité, mais derrière le prétexte d’une panique causée par une invasion martienne se cache un véritable crime, autrement plus sordide. La tromperie ne s’arrête pas là, puisque le scénariste se sert de la manipulation médiatique d’Orson Welles pour en dissimuler une autre, et non seulement l’histoire relatée ici est de la pure fiction, mais le personnage principal de Douglas Burroughs et son roman, dont la bande dessinée prétend être une adaptation, n’ont jamais existé.
Avec ses illustrations au feutre et à l’aquarelle sans ligne d’encrage, le travail graphique de Jean-Denis Pendanx dans A Fake Story se rapproche plus de la peinture que du dessin. L’artiste s’inspire des photos couleurs de l’époque pour la coloration, ce qui donne à la bande dessinée un côté rétro se prêtant à merveille à une intrigue prenant place dans l’Amérique de la fin des années 1930. L’album compte beaucoup de têtes parlantes, mais brise la monotonie en entrecoupant le tout de panoramas de New York, de petites maisons rurales de la ville de Heathcote au New Jersey, ou de splendides paysages automnaux. Pendanx suggère subtilement les marques du racisme ambiant. Dans une scène prenant place à la gare de Princeton par exemple, on peut voir en arrière-plan un panneau sur lequel est inscrit « Colored Waiting Room », un signe de ségrégation qu’on peut facilement manquer si on ne prête pas attention aux détails dont regorgent ses cases.
Les mensonges, les légendes et les mystifications existaient bien avant l’avènement des médias de masse, mais en utilisant le premier canular médiatique pour camper son intrigue faussement historique, A Fake Story rappelle qu’il faut toujours conserver son esprit critique devant des faits présentés comme véridiques.
A Fake Story, de Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx. Publié aux éditions Futuropolis, 96 pages.