Pourquoi tant de fureur? Pourquoi tant de douceur? Le plus récent concert de la série Cartes Blanches, de Pro Musica, propose un mariage entre Chopin et Schumann pour un duo violoncelle et piano, et le résultat est à la hauteur de cette période étrange que nous traversons: une combinaison de grands moments d’agitation et de tendres espoirs.
Sur scène – une scène déserte à l’exception des interprètes, bien entendu, et sans aucun public –, d’abord, le violoncelliste Stéphane Tétreault, notamment « Révélation Radio-Canada » en musique classique et auréolé de divers autres prix. Pour l’accompagner, Lysandre Ménard au piano, qui est tout autant musicienne que comédienne.
Le concert, ou plutôt l’événement en ligne, démarre de façon quelque peu étrange: on nous présente en effet une entrevue avec M. Tétrault où il répond non pas aux questions d’un animateur ou d’une personne hors champ, mais à des phrases muettes qui apparaissent à l’écran. Tant mieux si l’on souhaite nous faire mieux connaître l’artiste, mais le format, et surtout la durée – 11 minutes, s’ils vous plaît! – déconcertent. Résultat, ce journaliste finira par accélérer la captation jusqu’aux toutes premières notes.
Qu’à cela ne tienne, M. Tétreault mérite amplement les honneurs qu’on lui a rendus: pleinement en maîtrise de son instrument – non, plutôt carrément en symbiose avec celui-ci –, le voici qu’il caresse et cajole, faisant passer l’archet ici, caressant et pinçant une corde là… Tout est dans le ton, tout est à la fois dans la légèreté et dans le contrôle.
Sa vis-à-vis, bien installée devant le clavier du magnifique Steinway utilisé pour l’occasion, n’est pas en reste. Et là où M. Tétreault bouge, occupe l’espace qui lui est attribué avec parfois beaucoup de vigueur, Mme Ménard, elle, demeure bien campée devant son piano. Un peu comme si ce dernier allait s’emballer à tout moment, et qu’il fallait en garder le contrôle.
Quant au choix des pièces, celui-ci est efficace sans être trop audacieux, ni trop consensuel. La Fantasiestücke pour violoncelle et piano de Schumann sert parfaitement bien « d’amuse-gueule » musical, si cela est possible sans trop nier les vertus de l’oeuvre. Quant à la Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur de Chopin, le titre d’une trentaine de minutes est à la fois simple et complexe, doux et puissant, et fait tour à tour rêver à des jours meilleurs et regretter les jours perdus. Que demander de plus en pleine période de morosité, voire de désespoir, qui n’en finit plus?
Voilà d’ailleurs le point d’orgue, ou peut-être le coup de grâce: lorsque la musique des deux artistes, toujours passionnés malgré l’absence de spectateurs, rappelle que c’est aussi cela, la vie. Non pas de faire la queue pour consommer toujours plus, mais ce qui est en apparences presque purement chaotique, mais qui est en fait la manifestation d’une beauté qu’il est difficile de quantifier.
C’est à ce moment, quand résonnent les dernières notes, que l’émotion nous étreint, et que nous nous prenons à rêver à des jours meilleurs.