Relatant l’histoire d’une femme de 80 ans déménageant dans une résidence pour personnes âgées, la bande dessinée Le plongeon est une ode à cette vieillesse que la culture populaire ignore trop souvent.
Habitant seule avec sa chienne Bellouche depuis la mort de son mari, Yvonne Lhermitte prend la difficile décision de mettre en vente la maison où elle a passé soixante années de sa vie, et de déménager dans la résidence pour personnes âgées Les Mimosas. Dès son arrivée dans une chambre aseptisée dont elle n’aime ni la couverture du lit, ni les rideaux ou le papier peint, une immense tristesse envahit l’octogénaire, accompagnée d’une impression d’entamer une chute libre vers la mort et l’oubli. Tandis que les visites de ses proches deviennent de plus en plus espacées, elle se lie d’amitié avec d’autres résidents à l’esprit toujours vif, dont Paul-François, un homme qui lui fera connaître à nouveau la chaleur d‘être désirée. Éprise de liberté, Yvonne organisera même une fugue en compagnie de ses nouveaux compagnons, afin de goûter encore une fois aux plaisirs de l’existence.
À l’image de notre société, qui refuse de contempler la vieillesse et place les aînés dans des mouroirs où ils finissent leur vie à l’écart du reste de monde, les personnes du troisième âge sont rarement mises de l’avant dans les bandes dessinées, et voilà pourquoi, avec son héroïne de quatre-vingts ans et sa sympathique bande de mamies et de papys, l’album Le plongeon est si unique, et rafraîchissant. Séverine Vidal a manifestement écrit le scénario avant que ne survienne la crise de la COVID-19, et bien qu’elle aborde le manque criant d’effectifs ou le traitement infantilisant souvent réservé aux bénéficiaires dans ce genre d’établissement, elle ne verse jamais dans le misérabilisme avec ce récit touchant, humain, et rempli de moments cocasses et attendrissants.
Il faut dire que tout le monde rêverait d’avoir une grand-mère comme Yvonne. Qu’elle place le mot « éjacule » lors d’une partie de scrabble, qu’elle moule un pénis dans l’atelier de poterie, qu’elle aille rejoindre son amant en cachette la nuit pour se coller contre lui ou qu’elle organise une petite beuverie entre amis dans sa chambre, on est en présence d’une octogénaire authentique et un brin rebelle, qui a certes peur de l’abandon, de sentir que son corps lui échappe chaque jour un peu plus et « des mots qui vont s’effacer, comme mes souvenirs », mais qui continue tout de même à vouloir vivre pleinement jusqu’à la toute fin, et cette vision épanouie de la vieillesse fait énormément de bien, dans un univers où la pandémie a transformé la vie dans les résidences pour personnes âgées en véritable film d’horreur.
Il existe peu de représentations de femmes d’un certain âge dans la bande dessinée, et dans un style épuré et très agréable à l’œil, Victor L. Pinel esquisse, sans ambages, les rides, les sourires édentés et même les corps nus marqués par le passage du temps avec des seins pendants sur un ventre proéminent, sans négliger la beauté, bien que défraîchie, de son héroïne. Il se permet même une scène de baise empreinte de tendresse entre deux personnes de l’âge d’or, ce qui est rare au point de sembler tabou, mais il possède surtout un talent incroyable pour transmettre l’émotion dans ses images. Pour illustrer la solitude d’Yvonne par exemple, il la dessine toute petite et noyée dans un grand espace blanc. Pinel met aussi beaucoup d’emphase sur les petits gestes (une main sur une autre, des jambes qui s’effleurent timidement, des larmes coulant sur un album photo), qu’il isole dans leurs propres cases pour créer de grands moments d’intimité.
On n’avait pas lu une aussi belle bande dessinée mettant en vedette des protagonistes du troisième âge depuis le sublime Les petits ruisseaux de Pascal Rabaté, et malgré l’incontournable part de tristesse que contient l’album, Le plongeon nous réconcilie avec cette vieillesse, à laquelle nul ne peut échapper.
Le plongeon, de Sévérine Vidal et Victor L. Pinel. Publié aux éditions Grand Angle, 80 pages.