On le sait, l’année 2020 en fut une de transformation – et le mot est faible! Et l’une des conséquences de la crise sanitaire, et des fermetures généralisées qui s’en sont suivi, a été ce chambardement des modes de consommation de contenu. Avec cette année pandémique derrière soi, le Fonds des médias du Canada (FMC) tente de prévoir l’avenir. Un avenir qui viendra confirmer des tendances lourdes, oui, mais qui ne viendra pas signer l’arrêt de mort de certains aspects culturels, sociétaux et médiatiques en apparence intouchables.
Le document, publié la semaine dernière et intitulé Reprendre autrement, est différent, le FMC en convient d’office. Dans l’introduction, d’ailleurs, on souligne avec raison que « le rapport des tendances 2021 ne ressemble à aucun des huit autres rapports que nous avons produits dans le passé ». L’équipe responsable de la publication dit ainsi avoir « profité du chaos pour tout revoir, tout repenser, tout reconstruire ».
Diplomate, Catherine Mathys, directrice de la veille stratégique pour le Fonds, évoque « une année particulière pour tout le monde », notamment en ce qui concerne la consommation de contenus.
Fait intéressant (et peut-être inquiétant), lit-on dans le document, le travail s’est beaucoup plus insinué dans la vie de tous les jours, en raison du renvoi à la maison d’une grande partie de la main-d’oeuvre, ainsi forcée de fonctionner en télétravail.
Selon des données publiées par Microsoft, qui a ainsi sondé ses employés, jusqu’à quatre heures supplémentaires étaient consacrées au travail pendant la semaine, alors que ce total pouvait atteindre, voire dépasser huit heures pour les cadres supérieurs.
Mais si cette frontière entre la vie personnelle et la vie privée s’est un peu plus estompée, les employés travaillant bien souvent non seulement à partir de chez eux, mais aussi, potentiellement, sur les mêmes ordinateurs et autres appareils électroniques utilisés pour se divertir, cette tentation de demeurer scotché à son écran est devenue d’autant plus forte. D’où, on s’en doute, cette forte croissance de la consommation de contenu vidéo, qu’il soit interactif ou non. Sans oublier, bien sûr, la fermeture des bars, restaurants, cinéma, salles de spectacles, etc.
« Nous avons décidé de regarder cette étrange année-là de l’industrie des écrans à travers la lorgnette de tous les pans qui la composent », explique Mme Mathys au bout du fil, que ce soit « les créateurs, les producteurs, les diffuseurs, ou encore l’auditoire ».
De nouveaux, et d’anciens médias
Vidéo, oui. Y compris la télévision, le cinéma, voire Twitch, le service d’écoute de présentation en direct avec un « twitcheur », un présentateur, mais aussi une fonction de clavardage pour échanger avec l’hôte et les autres spectateurs. Tout ce beau monde a profité d’un gain de popularité, indique le rapport.
Il en va de même, peut-être de façon un peu surprenante, des médias traditionnels. Les Québécois (et les Canadiens) se sont rués sur les services d’informations, plus spécialement les chaînes d’information en continu, pour se tenir informés des derniers développements liés à la COVID-19. Si cette frénésie est légèrement retombée, sauf en cas de grande annonce, il n’était pas faux de qualifier de nouvelle « grand-messe » le point de presse alors quotidien du premier ministre du Québec, François Legault, qui annonçait en mars et avril 2020, à 13 heures tapantes, le nombre de nouveaux cas de contamination, les morts supplémentaires, mais aussi les mesures de protection additionnelles décidées par la santé publique et l’État.
Idem au fédéral, où le premier ministre Justin Trudeau et les responsables de la santé publique canadienne ont pris l’habitude des points de presse fréquents.
Radio-Canada n’a d’ailleurs pas hésité à débrouiller sa chaîne RDI, normalement réservée aux abonnés du câble, pour la proposer en accès gratuit, sur son site web, pendant plusieurs semaines.
À l’autre extrémité du spectre technologique et médiatique, des applications moins connues comme Google Duo (appels vidéo), ainsi que les réseaux hyperlocaux Nextdoor et Houseparty, « un service qui permet d’organiser des clavardages-vidéo de groupe, ont elles aussi connu une hausse d’achalandage pendant la pandémie », souligne le FMC dans son rapport. Du bon vieux point de presse télévisé aux appels vidéo, c’est tout une gamme de services, d’applications et de technologies qui sont venus informer, mais aussi pallier à l’absence de contacts en personne.
« On a visionné des films, on a visionné des séries; on s’est tous abonnés à des plateformes auxquelles on n’était pas abonnés auparavant. On a essayé de nouvelles affaires. Certains d’entre nous ont même joué à des jeux en ligne pour la première fois », indique encore Catherine Mathys.
Des titres grand public, comme Fall Guys et Among Us, où le joueur affronte ou collabore avec d’autres personnes en ligne, ont ainsi connu un immense succès, tout en se situant très loin des titres technologiquement exigeants comme Call of Duty: Warzone, par exemple. Ce dernier a cependant su tirer son épingle du jeu en attirant bon nombre de participants à cette foire d’empoigne mortelle et virtuelle. Le secret? Il est gratuit, et sert de porte d’entrée pour les autres titres de la série, au grand plaisir d’Activision, son éditeur.
Toujours pour Mme Mathys, avoir varié la « diète médiatique », en 2020, est à voir d’un bon oeil. « Ça s’est énormément diversifié; on est partis des habitudes régulières des gens à tenter, par plusieurs moyens, de trouver de nouvelles sources de divertissement. »
« Et même les choses que nous faisions déjà, par le passé, comme consulter YouTube », se sont transformées, explique-t-elle, en évoquant notamment l’émergence de toute une gamme de vidéos où le spectateur est « accompagné » par une personne à l’écran.
Selon le FMC, la consommation de télévision en ligne ou sous forme de contenu diffusé (sur Netflix, par exemple), a bondi d’un étonnant 88% chez les francophones du pays, entre 2017 et 2020, avec près d’une heure par jour, en moyenne. Chez les anglophones, la progression est moins marquée, à 24% environ, mais demeure substantielle, à 1h15 par jour, en moyenne. Et la consommation de télé traditionnelle, elle, a peu progressé pendant la même période, mais aussi peu reculé.
Le public a donc réellement cherché à occuper ce temps maintenant libre.
Le cinéma à l’agonie?
Avec toutes ces transformations médiatiques, qui viennent en fait confirmer les tendances des années précédentes, avec une démultiplication des offres et des canaux, 2020 marque-t-elle le début de la fin pour les grands empires du divertissement, qui s’appuient traditionnellement sur le fait d’attirer des gens au cinéma, par exemple?
À cela, Catherine Mathys rassure, d’abord: non, il n’y aura pas de pénurie de nouveaux contenus, que ce soit en salle ou au petit écran. « Les tournages ont repris », dit-elle, en fonction des considérations sanitaires, et dans des conditions qui peuvent varier de région en région.
« Les équipes ont continué, notamment du côté de l’animation, en s’adaptant tant bien que mal au télétravail. Les jeux vidéo, aussi. Je pense qu’il y a eu beaucoup d’adaptation, de flexibilité, de résilience. »
Toujours selon Mme Mathys, la grande réflexion de 2021, pour les détenteurs de salles de cinéma, entre autres, mais aussi tous les propriétaires de salles de spectacle, consistera à trouver une nouvelle manière de transmettre leurs contenus à leur auditoire.
« Cet auditoire a beau être captif, il est extrêmement sollicité par toutes les formes de divertissement. Cela pose de nouveaux défis. »
« La question des salles de cinéma est très singulière, très particulière », mentionne encore Catherine Mathys. « Comme la plupart des endroits où l’on se rend pour consommer du divertissement; nécessairement, cela va être appelé à se diversifier dans la nature des activités qu’on y retrouve. » Y compris si les cinémas ne peuvent plus accueillir autant de spectateurs à la fois qu’avant la pandémie, dit-elle.
Dans ce cas, ces salles pourraient se diversifier, « possiblement en diffusant des séries, en présentant des oeuvres immersives ».
Quant aux studios de cinéma, ils pourraient emprunter la voie tracée par Disney et permettre le lancement simultané de films sur les plateformes de diffusion et en salles, retirant du même coup cette chasse gardée aux salles obscures.
Le cinéma, comme tant d’autres formes de divertissement, n’est donc pas à l’agonie, mais devra se transformer pour s’adapter à la réalité post-pandémie.
En attendant, les consommateurs, eux, n’ont jamais été aussi sollicités. « Et il n’y a que 24 heures, dans une journée », rappelle Catherine Mathys.
Abonnez-vous à l’infolettre!
Entretiens journalistiques #49: Justin Ling, Blimps And The Canadian Media Landscape