Avec la collection Le Spirou de… ou la nouvelle série mettant en vedette le Comte de Champignac, plusieurs bédéistes revisitent l’univers du célèbre groom, et c’est maintenant au tour de Zidrou et Frank Pé de livrer une version bien personnelle du marsupilami, avec l’album La Bête.
Novembre 1955. Le navire Condor débarque enfin au port d’Anvers en Belgique, mais, suite à une avarie ayant entraîné 21 jours de retard, la majorité des animaux exotiques qu’il transportait dans sa cale sont décédés en cours de route. Parmi les rares spécimens ayant survécu au voyage se trouve une étrange créature jaune tachetée de noir, qui parvient à échapper à ses geôliers. François, un garçon ayant la manie de recueillir toutes les bêtes qu’il trouve, habite Bruxelles avec sa mère. Sa ménagerie compte déjà une taupe albinos, un chien à trois pattes, la seule chauve-souris diurne au monde et un vautour même pas fichu de voler, et lorsque le jeune homme tombe sur le pauvre marsupilami à moitié mort, il décide de le ramener à la maison, sans se douter que la bête lui causera bien des ennuis.
C’est en 1952, dans l’album Spirou et les héritiers, qu’est apparu pour la toute première fois le marsupilami, une créature imaginaire évoquant un improbable croisement entre un singe et un léopard, dotée d’une grande intelligence, d’un appétit féroce et d’une queue préhensile mesurant près de neuf mètres lui servant autant pour se défendre que jouer ou se déplacer. La sympathique bestiole s’exprimant à coups de « houba houba » remportera tellement de succès auprès du public qu’elle aura droit à sa propre série de bandes dessinées, et même lorsque Franquin délaissera les aventures de Spirou, il continuera de dessiner l’animal, qu’il considérait comme l’un de ses personnages les plus réussis.
L’album La Bête revisite les origines du marsupilami, et son arrivée en Europe est légèrement différente cette fois-ci. Au lieu d’être découvert dans la forêt palombienne par Spirou et Fantasio, ce sont les Indiens Chahutas qui le capturent, avant de le revendre à des braconniers sans scrupules. Véritable ode au monde de l’enfance, le récit présente une touchante histoire d’amitié entre la créature et un gamin solitaire victime d’intimidation à l’école. Le scénariste Zidrou puise manifestement dans sa propre expérience d’instituteur, un métier qu’il a abandonné en faveur de la bande dessinée, pour le personnage de monsieur Boniface, un enseignant ayant recours à l’humour pour rejoindre les enfants, au grand dam du directeur.
Il suffit de regarder la couverture de La Bête pour constater qu’on est loin de la mignonne représentation qu’en faisait Franquin, et sous le crayon de Frank Pé, le marsupilami n’aura jamais eu autant l’air d’un animal sauvage et dangereux, avec ses petites pattes griffues et sa fourrure de fauve. Comme si la méchanceté et la cruauté marquaient les visages, l’illustrateur dessine la plupart des adultes de manière caricaturale, avec des nez démesurés, des mentons sortant de peine et de misère des cous graisseux, et des moustaches hirsutes. Ses images au feutre, à la mine et à l’aquarelle sont touffues, et l’on apprécie la richesse de ses cases, surtout la maison remplie d’animaux éclopés de François, où un vautour est posé sur le dossier de sa chaise pendant qu’il mange son déjeuner, une chauve-souris virevolte en permanence dans plusieurs scènes, ou un cheval maigrichon sauvé de l’abattoir glisse la tête par la fenêtre de la cuisine.
Zidrou et Frank Pé livrent la version la plus réaliste du marsupilami à ce jour avec La Bête, et si l’histoire de ce premier tome ne vous émeut pas, vous devriez prendre votre pouls afin de vous assurer que votre cœur bat encore.
La Bête – Tome 1, de Frank Pé et Zidrou. Publié aux éditions Dupuis, 156 pages.