Après plus de vingt ans à illustrer les univers des autres, le bédéiste Philippe Pellet a décidé d’écrire lui-même l’histoire de Sheïd, un triptyque dont le premier tome, intitulé Le piège de Mafate, est maintenant disponible.
Ancien légionnaire s’étant recyclé dans la contrebande et les activités criminelles de toutes sortes, Sheïd vend maintenant ses services au plus offrant. Lorsque l’un de ses contacts, un certain Mhaus, lui demande de ramener Pradhi, un « petit vieillard inoffensif » logeant dans une modeste auberge du quartier des Ministères en échange de fioles d’ombresève d’une rare qualité, le truand accepte volontiers le contrat, mais ignore qu’il s’apprête en fait à kidnapper un membre du Haut Conseil de Mafate. Quand Sheïd arrive sur les lieux, le vieil homme vient tout juste d’être poignardé, et il l’implore de son dernier souffle de protéger sa petite fille, Nyl. Se retrouvant au cœur d’un complot à l’ampleur insoupçonnée et accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, le mercenaire tentera, tant bien que mal, de fuir la cité en compagnie de la jeune inconnue sur laquelle il a promis de veiller.
Avec un bandit au bon cœur se faisant prendre dans un traquenard visant à le transformer en bouc émissaire, on ne peut pas dire que le héros ou la prémisse de Sheïd débordent d’originalité, mais l’univers unique dans lequel l’histoire prend place compense pour les lieux communs de l’album. Imprégnant ses pages d’un brassage culturel où se côtoient pêle-mêle des légionnaires évoquant la Rome antique, des marchés d’inspiration moyen-orientale, une secte religieuse se gavant d’une mystérieuse substance et des créatures de fantasy, Pellet tisse ici un monde que l’on a envie de découvrir. Bien que la série possède un potentiel indéniable, ce premier tome de 48 pages, qui se limite à esquisser les contours géopolitiques d’une société déchirée par une guerre larvée et à introduire les personnages principaux, nous laisse un peu sur notre faim, et il faudra attendre au minimum la sortie du second volume pour savoir si ce récit vaut le détour ou non.
Bien que les talents de scénariste de Philippe Pellet restent encore à prouver, il en va tout autrement de ses dessins, qui constituent le point fort de ce premier tome de Sheïd. D’un trait fin et minutieux, il esquisse les visages parcheminés d’hommes rudes d’un autre temps, des guerriers barbus montant des oiseaux géants nommés Griffars, ou encore d’étranges véhicules volants ressemblant à un croisement entre un navire et une montgolfière. Ses cases foisonnent de détails, et il laisse parfois ses illustrations exploser sur une pleine ou une double page, ce qui produit des paysages absolument grandioses, dont celui de la cité de Mafate. Il texture ses images à l’aide de véritables arabesques de lignes enchevêtrées, et la coloration utilise beaucoup d’orange et de jaune afin de transmettre la chaleur torride dans laquelle baignent ses décors.
Comme Le piège de Mafate constitue surtout une entrée en matière, il est difficile de savoir si Sheïd sera ou non une bonne série de fantasy, mais malgré ses quelques faiblesses scénaristiques, ce premier tome s’annonce tout de même assez prometteur pour qu’on ait envie de connaître la suite, ce qui est déjà un bon départ.
Sheïd, Tome 1: Le piège de Mafate, de Philippe Pellet. Publié aux éditions Drakoo, 48 pages.