Sorti officiellement le 11 novembre, le film Hold-Up, retour sur un chaos prétend soulever et dénoncer les « mensonges et corruptions » de la gestion de la crise sanitaire liée au coronavirus. Alors que plusieurs ont déjà déboulonné ses erreurs factuelles, le Détecteur de rumeurs s’est intéressé à la démarche du réalisateur.
La COVID-19 ne serait pas plus grave qu’une grippe pour les moins de 50 ans, le virus aurait été fabriqué par l’Institut Pasteur il y a des années, les citoyens du monde entier se seraient fait berner par une élite corrompue, il n’y aura pas de deuxième vague… Hold-Up multiplie les affirmations approximatives, allant parfois à l’encontre des données scientifiques. L’équipe des journalistes de CheckNews a démonté les 10 plus grosses absurdités, alors que les rédactions de Science & Avenir, de RTBF et du Monde se sont mobilisées pour relever certains mensonges et répondre aux questions de leurs lecteurs. Le film compte déjà des centaines de milliers de mentions sur les réseaux sociaux.
Mais au-delà des mensonges —comme la construction de camps de détention pour malades au Canada— et de la désinformation, c’est l’approche du film qui est trompeuse, constate le Détecteur de rumeurs.
1) Des intervenants à la crédibilité douteuse
Le choix des intervenants qui se succèdent pendant un peu plus de 2 heures 40 est déterminant pour le ton donné au film. Plusieurs sont connus pour leurs prises de position controversées ou pour la propagation de « fake news » dans les médias français depuis le début de la pandémie. Par exemple, le Dr Christian Perronne, selon qui la maladie de Lyme aurait été artificiellement véhiculée par les nazis. Ou Alexandra Henrion-Caude, généticienne et ex-chercheuse à l’INSERM, qui soutient que les masques favorisent la prolifération de bactéries et causent des maux de tête et des problèmes de respiration, ce qui est faux. L’INSERM s’est désolidarisé d’elle.
D’autres sont présentés comme des spécialistes, sans qu’ils ne soient des spécialistes d’épidémies ou de virus. Comme Jean-Dominique Michel, un anthropologue de la santé sans diplôme dans le domaine, ou Astrid Stuckelberger, une médecin spécialiste du vieillissement qui résume ainsi la politique des entreprises pharmaceutiques: «plus on a de malades, plus on est riches, n’arrêtons pas la maladie».
C’est sans compter Silvano Trotta, Youtubeur devenu très populaire pendant la pandémie pour ses prises de position complotistes; avant la pandémie, il avait aussi publié des vidéos complotistes niant que les Américains aient débarqué sur la Lune, sur les chemtrails ou sur le 11 septembre 2001. La vidéaste Ema Krusi ou l’ancienne avocate Valérie Bugault sont d’autres habituées des sphères conspirationnistes françaises.
L’un des « experts », Olivier Vuillemin, change même de titre entre les versions gratuite et payante du film, passant d’expert en fraude scientifique à expert en métrologie de la santé.
Le réalisateur, Pierre Barnérias, a réalisé un documentaire sur les apparitions de la Vierge et sur les expériences de mort imminente. Le producteur Christophe Cossé, présenté comme un réalisateur et ancien producteur télé, vend aussi des prestations comme spécialiste de l’hypnose et de la Programmation Neuro Linguistique (PNL).
L’ancien ministre français de la Santé, Philippe Douste-Blazy, a demandé à être retiré du film, affirmant se « désolidariser » du documentaire qu’il qualifie de complotiste. Même chose pour la sociologue Monique Pinçont-Charlot, qui affirme que les propos où elle compare le coronavirus à un « holocauste » visant à « éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité, dont les riches n’ont plus besoin », ont été tronqués.
2) Un faux documentaire
Hold-Up se présente comme une enquête journalistique sur le déclenchement de l’épidémie et sur son traitement par les autorités. Il reprend les codes du documentaire avec le format des entrevues et témoignages, en plus d’offrir une facture léchée: images soignées, prises de vue de drone, travail sur l’ambiance sonore, longs silences avec gros plan sur les intervenants, etc.
Le film trahit cependant les règles du genre:
- manque de hiérarchisation de l’information, alors que médecin, sociologue, sage-femme et chauffeurs de taxi se succèdent au micro;
- absence d’arguments contradictoires, alors que tous les témoignages sont à charge, sans contre-discours;
- Hold-Up ne cherche pas à mettre en lumière une situation ou à susciter un questionnement, comme le ferait un documentaire, mais à propager une idée. C’est au-delà du « regard personnel » du réalisateur, propre au documentaire.
3) Des stratégies narratives trompeuses
Parmi les stratégies utilisées:
- le réalisateur s’appuie sur des arguments d’autorité: des scientifiques sont souvent présentés sans contexte, empêchant le spectateur de savoir qui ils sont exactement;
- il s’appuie aussi sur l’appel au bon sens, qui permet de ne pas avoir à prouver quelque chose en l’avançant comme évident;
- la narration multiplie les sous-entendus et les commentaires qui ouvrent la porte à la rhétorique conspirationniste. Même sans avoir de penchants complotistes, un spectateur peut se prendre à douter.
Le tout se termine sur une mise en garde contre le « Great Reset » qui suggère que la pandémie serait un plan des élites économiques et politiques pour asservir la population à l’échelle mondiale. Les 45 dernières minutes du film n’ont en fait que peu à voir avec le reste. Alors que les 2 premières heures alignaient les controverses, dont certaines sont bien réelles, la finale dérape sur les cryptomonnaies, la 5G et la crainte d’un gouvernement mondial.
4) Le rôle des réseaux sociaux
Ce sont les réseaux sociaux qui ont permis à Hold-Up de gagner une grande notoriété, rappelant du coup le rôle des plateformes dans la propagation des idées complotistes, souligne une analyse de Numérama. Les réseaux sociaux ont aussi fortement contribué au financement du film: les producteurs ont levé 182 000 euros (sur un objectif initial de 20 000 euros) sur la plateforme de financement participatif Ulule et 125 000 euros de promesses de dons sur Tipee.
Face aux critiques, Dailymotion a retiré le film de sa plateforme. Vimeo avait fait de même le 12 novembre, 24 heures après l’avoir mis en ligne. Sur le site officiel de Hold-Up, le logo est affublé d’un tampon « CENSURÉ ». Malgré tout, on retrouvait encore, en date du 18 novembre, le faux documentaire en ligne sur de nombreuses plateformes, notamment Facebook et Odysee. Facebook signale toutefois que le film contient des informations « partiellement fausses ».