La bande dessinée Black-out lève le voile sur les travers de l’industrie cinématographique américaine d’antan, en relatant l’incroyable parcours de l’acteur Maximus Wyld, la toute première star « de couleur » d’Hollywood.
Né à Los Angeles en septembre 1921, Maximus Ohanzee Wildhorse fût « découvert » à l’âge de quinze ans par Cary Grant dans un studio de boxe. Rebaptisé Maximus Wyld, le métissage de cet acteur d’ascendance noire, chinoise et autochtone lui donnera accès à tous les rôles « ethniques » à Hollywood, du danseur afro-américain au dandy oriental, en passant par l’assassin turc ou le guerrier indien. Il sera la toute première vedette « de couleur », ouvrant la voie à Sidney Poitier, Harry Belafonte ou Yul Brynner, et jouera dans de nombreuses productions dont Vertigo, Duel au soleil, Sunset Boulevard, ou Le Faucon maltais.
Malgré son impressionnante filmographie, bien peu de gens connaissent ce précurseur puisque, après avoir participé au tournage de Gengis Khan en Union soviétique, le Comité parlementaire sur les activités antiaméricaines le condamnera, et sa présence sera carrément coupée de la cinquantaine de films dans lesquels il avait joué, une cruelle injustice que vient réparer la bande dessinée Black-out de Loo Hui Phang et Hugues Micol.
Au-delà d’une simple biographie sur Maximus Wyld, Black-out nous entraîne dans les coulisses de cette industrie de l’image, qui a largement contribué à la ségrégation en présentant à l’Amérique une vision déformée d’elle-même. Que ce soit l’usage répandu du « black face », les comédiens des minorités visibles cantonnés à des rôles de domestiques ou de vilains, les « race movies » réalisés pour un public exclusivement afro-américain ou le code Hays, qui interdisait la représentation cinématographique de tout ce qui pourrait porter atteinte aux « valeurs morales » des spectateurs comme l’homosexualité ou les relations interraciales, la bande dessinée présente un portrait peu reluisant de l’âge d’or de cette « machine à rêves » qu’est Hollywood, tout en faisant preuve de beaucoup d’humour. Puisque personne ne comprenait leur langue, les Navajos changeaient souvent leurs répliques dans les westerns en faveur de déclarations du genre « Vous pourriez décimer nos troupes indiennes rien qu’en enlevant vos chaussettes », ou « Nous rendons les armes, mais par pitié, reprenez Errol Flynn! ».
J’ai personnellement découvert le dessinateur Hugues Micol avec le génial album Saint Rose, et son coup de crayon nerveux et son style rétro à la Milton Caniff se prête à merveille à cette épopée du cinéma se déroulant entre 1936 et 1968. Très dramatiques, ses illustrations en noir et blanc reprennent des affiches de films de l’époque et reproduisent certaines scènes classiques de longs-métrages, où l’on reconnaît immédiatement les Clark Gable, Rita Hayworth, John Wayne, Alfred Hitchcock, Vivien Leigh et autres figures historiques peuplant ses cases.
En dehors de l’approche purement documentariste, Black-out incorpore aussi une touche de folie, avec des images surréalistes remplies d’onirisme et de poésie : un chef indien sur sa monture galopant dans les nuages, des dizaines d’yeux géants incrustés dans des canyons, le chignon d’une starlette prenant la forme d’un trou noir, un chimpanzé déféquant sur la table lors d’une réception de luxe, ou une promenade dans une jungle de cheveux crépus, symbole de l’oppression des acteurs afro-américains qui devaient se les lisser afin d’être « présentables » à l’écran. La bande dessinée s’ouvre d’ailleurs sur une préface éclairante du réalisateur haïtien Raoul Peck.
Si Maximus Wyld repose dans le cimetière des amnésies hollywoodiennes depuis des décennies, Loo Hui Phang et Hugues Micol lui redonnent enfin la place qui lui revient avec Black-out, une bande dessinée montrant à quel point, sous prétexte de divertissement, le cinéma américain a alimenté le racisme en manipulant la réalité, et en réécrivant l’Histoire.
Black-out de Loo Hui Phang et Hugues Micol. Publié aux éditions Futuropolis, 200 pages.