Amoureux des univers riches et touffus, en plus d’être un cinéphile évident, RZA revient à la réalisation pour offrir quelque chose de plus terre à terre, sans délaisser une part de la folie qui l’habite régulièrement. Cut Throat City est à voir chez soi dès mardi.
S’il y a bien un endroit aux États-Unis qui frappe rapidement l’imaginaire et vit de son propre microcosme, c’est bien la Nouvelle-Orléans. Il est donc excitant de voir RZA s’y pencher, surtout qu’il le fait sur fond d’ouragan Katrina.
Un petit hic s’impose toutefois rapidement. Un détail majeur qu’il faut mettre de côté pour apprécier l’œuvre à une valeur plus juste.
C’est que le long-métrage écrit par P.G. Cuschieri, qui a grandi au Michigan, n’a que l’emplacement en commun avec par exemple la sublime télésérie Treme de David Simon et Eric Overmyer. Si les lieux sont rapidement reconnaissables, les cimetières, les maisons, on a fait l’erreur de vouloir faire une lettre d’amour à une ville en impliquant peu ou sinon aucunement ceux qui y sont concernés.
Certes, on comprend le désir d’assembler une distribution intéressante; c’est après tout une des rares valeurs sûres des films du célèbre rappeur, qui en plus de prolonger sa collaboration avec Shameik Moore, la gueule prometteuse vue dans Dope et entendu dans Spider-Man: Into the Spider-Verse, également en vedette dans la télésérie Wu-Tang: An American Saga, co-créée par RZA, décide de ne pas se mettre en vedette pour favoriser T.I., Demetrius Shipp Jr., qui a été découvert en incarnant nul autre que Tupac, Rob Morgan, Denzel Whitaker, Wesley Snipes, Terrence Howard et même Ethan Hawke.
Il y a aussi la métamorphose surprenante de Keean Johnson, un adepte de Broadway, ici à mille lieues de ses rôles habituels. Sauf que littéralement aucun de ces comédiens n’est originaire de l’endroit où habitent et grandissent leurs personnages.
De plus, à part des petites références à la ville, à la musique, on retrouve bien peu de NOLA dans ce film. Exit les accents, exit son fondement et sa richesse, et on s’en remet à des clichés plutôt simplistes ramenant à la pauvreté et l’abandon. Même la notion de la famille y a une profondeur superficielle.
Néanmoins, la réalisation somme toute compétente de son réalisateur donne droit à un film de gangsters, de vol et de corruption qui s’écoute un peu mieux qu’une bonne majorité des très nombreux films du genre. Son savoir-faire principalement musical aide également et son affection pour les membres de sa distribution, pour la majorité plutôt excellents, se fait constamment sentir.
Certes, ce n’est pas particulièrement intéressant visuellement, voire plutôt anonyme, alors que les possibilités des lieux sont pourtant nombreuses, et le flair du réalisateur manque d’une signature précise qui empêcherait l’ensemble de ne pas sembler aussi générique, l’inverse de son très beau générique ironiquement, alors qu’il y aurait eu moyen d’oser davantage ici et là que de simplement mentionner Tarantino (il renoue avec le monteur Joe D’Augustine qui a lui-même travaillé sur plusieurs films de Quentin) et The Wizard of Oz au passage sans en faire plus.
Surtout qu’il y a un détachement évident avec les écrits. Si ses scénarios précédents de RZA manquaient de conviction, de ne pas collaborer du tout à l’écriture enlève de beaucoup le cœur qu’on aurait pu trouver dans la production.
C’est d’autant plus frappant quand on réalise le riche univers qu’il semble mettre sur pied sans pour autant prendre vraiment le temps de le développer. Avec ses nombreux personnages qui passent à côté du film choral puisque sous-développés ou tout simplement accessoires (le pendant féminin est d’une grande inutilité et difficile de dire si c’est la fade présence de Eiza González ou le manque de développement ou de crédibilité qui entoure sa soi-disant quête), tout comme tous ses autres acteurs qui passent et repassent sans vraiment plus, on a par moment l’impression que le tout aurait mieux servi à une série télévisée ou une minisérie.
Surtout considérant ses penchants plus bédé-esques qui ne sont pas sans rappeler Les invincibles (le protagoniste est dessinateur). Il ne serait certainement pas surprenant de voir le tout se décliner en une suite ou une variation pour la télévision, surtout en prenant en compte l’ambiguïté de son dernier acte et la force de sa scène cachée.
L’édition DVD est complétée par un segment Behind-the-scenes d’environ huit minutes, dix minutes de scènes supprimées majoritairement courtes et toutes principalement inutiles et deux bandes-annonces du film qui laissent entrevoir des images qui ne se sont pas rendues dans la version finalement, ajoutant à l’idée qu’une fresque encore plus imposante et ambitieuse que le film final de deux heures s’offrait peut-être à nous.
Cut Throat City est donc une curiosité qui vaut pour ses comédiens, mais qui ne confirme toujours pas RZA comme un réalisateur à surveiller. Il a beaucoup d’ambition et de moyens, mais certainement pas encore l’aisance ou le talent pour entièrement capter notre attention. On rappelle également l’importance de marier sa forme et son fond et que si l’on veut vraiment s’intéresser à un sujet, à quelque chose, il est toujours préférable de le faire à fond et pas seulement en surface.
6/10
Cut Throat City est disponible en DVD et en combo Blu-ray / DVD dès le 20 octobre.
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