De par son sujet et la réalité qu’il dépeint, La déesse des mouches à feu ne cherche pas nécessairement à s’orienter vers l’agréable. Dommage alors que cette plongée dans les enfers des démunis soit aussi pénible, n’en déplaise à toutes les volontés artistiques de ce monde.
Anaïs Barbeau-Lavalette, en voilà une qui s’intéresse avec passion aux autres. Avec cet intérêt pour les délaissés et ceux qu’on préfère pointer du doigt, que ce soit en fiction ou en documentaire, elle a constamment braqué sa caméra sur des microcosmes en besoin de visibilité. Cette fois, toujours en criante recherche de vérité et de réalisme, amoureuse de ce qui pique et de ce qui est rugueux, elle a décidé de retourner aux élans de son premier film, le sensible Le ring, mais de continuer son exploration de la femme et de jumeler l’émancipation de l’adolescence aux tourments de la dépendance des années 90.
Partant des écrits des autres, le côté trash de Geneviève Pettersen en premier, elle en fait une adaptation libre qui s’efforce de se concentrer sur le ressenti plutôt que sur le narratif, laissant la force totale du cinéma s’immiscer en nous pour nous faire vivre chaque pulsion de son univers. Dommage, alors, que ces réflexes innés se font constamment aspirer vers le bas, à l’instar de sa protagoniste, pour tout décrier et tout envelopper d’une empathie qui n’a jamais totalement la force de nous faire visiter l’enfer de la drogue, comme le long-métrage semble constamment en avoir pourtant envie.
Et ce rythme, on le connaît assurément. Il ne réinvente pas la roue et évoque autant Ken Loach que Andrea Arnold, notamment. Ce cinéma très britannique finalement qui n’a pas peur de ce qui salit ou ce qui fait mal. Et comme Arnold, justement, Barbeau-Lavalette a indubitablement envie de s’offrir des escales de pure poésie (réalistes ou non), à l’image de son très beau titre (plutôt futile cela étant dit, n’en déplaise à deux courtes séquences plus inconséquentes qu’on ose nous le faire croire), que ce soit via le bruit des vagues ou de ces références plaquées à l’art d’hier (une référence musicale par-ci, une au cinéma par-là, une à la télévision pour tout couronner).
Pourtant, le long-métrage essaie de tout rendre accessoire. Ni trop d’époque, ni trop adolescent, ni trop « de région », tout en l’étant trop et insuffisamment à la fois. De fait, le film semble constamment éviter ce qui est nécessaire et insister sur ce qui ne méritait pas l’attention.
Bien sûr on a envie de croire que tout le film peut bien reposer sur les épaules de cette force brute que représente la chipie de protagoniste, mais n’en déplaise à la dévotion totale de la jeune Kelly Dépeault, elle est à mille lunes de la timide Mylia d’Émilie Bierre d’Une Colonie de Geneviève Dulude-De Celles, que Mathieu Charbonneau avait également mis en musique l’an dernier, et beaucoup plus en parenté avec les traits de caractère difficilement tolérables des Juliette et Léo de Jeune Juliette de Anne Émond et La disparition des lucioles de Sébastien Pilote, respectivement. À noter que nul autre que Stéphane Lafleur, qui avait lui-même séduit avec sa Nicole de Tu dors Nicole, a effectué le montage d’au moins trois de ces films d’adolescence au féminin, excluant le sien.
Regard d’aujourd’hui sur une époque révolue
Le hic, c’est que ce voyeurisme au malaise et à l’inconfort constant n’est en rien objectif et n’a qu’en désir les idéaux du très beau American Honey, présentant rapidement un agenda aux motifs beaucoup trop précis et dénués de toute subtilité. Évacuant rapidement cette simple incursion dans une réalité précise dans un contexte et un lieu précis (n’en déplaise à un savant et compétent travail de reconstitution que le Vivre à cent milles à l’heure de Louis Bélanger pourra certainement envier), le film devient rapidement clairement fait du regard subjectif d’adultes.
D’adultes qui d’une part ressentent une certaine mélancolie face à leur passé si singulier, mais d’adultes qui se montrent aussi craintifs pour protéger les nouvelles générations et éviter de nécessairement répéter les erreurs du passé. C’est là que le message marqué au grand feutre de « la drogue c’est mal » devient rapidement la volonté principale du film en montrant dans toutes ses possibilités le chaos qui l’entoure. Et quoi de mieux visuellement que d’utiliser les allures du punk et du grunge pour en montrer la noirceur et la certaine laideur quand cela lui sied.
La protagoniste se voit alors confrontée à un carrefour de choix et de possibilités, alors qu’on tente avec peu de classe de montrer les différents choix qui l’attendent, entre l’overdose, le bon gars, le mauvais gars, les bonnes ou les mauvaises fréquentations. L’œuvre se donne aussi l’impression d’avoir un discours nuancé et s’efforce constamment de rappeler que le bien n’est jamais à l’abri du mal et vice-versa.
Il est donc établi facilement que malgré toutes leurs imperfections, personne, vraiment personne, n’est véritablement à blâmer pour le calvaire que peut perpétrer la dépendance à la drogue et, surtout, surtout que les parents, ici, ne sont pas à blâmer.
La certaine crédibilité mise de côté, on doit quand même mentionner le travail compétent de Caroline Néron et Normand D’Amour, s’en tirant avec aise de ces personnages brisés et imparfaits qui font de leur mieux. Sauf que ces derniers demeurent trop régulièrement le point d’ancrage au spectateur qu’on tient par la main, voulant constamment rappeler que l’amour, ce n’était certainement pas de ça que manquait la protagoniste. À cela, la finale dégoulinante prête à faire craquer tous les publics pourrait difficilement être plus déloyale.
Un monde pour soi
Pourtant, on reconnaît ici et là la certaine marginalité des écrits de Catherine Léger, toute son affection envers les idées foncièrement modernes, ce qui était après tout parmi les forces du Charlotte a du fun de Sophie Lorain. Et s’il n’est pas nouveau de dépeindre l’adolescence via le regard d’adultes, on regrette que le film semble justement les oublier au passage ces adultes-en-devenir.
S’il veut décrier que le monde leur appartient, il s’assure constamment de les enfermer dans des carcans précis et de leur offrir bien peu d’espace pour pleinement respirer ou, à l’inverse, de les doter de véritables directives pour permettre à ces interprètes d’être judicieusement dirigés au-delà de leurs traits (souvent rebelles) qu’on peut rapidement résumer sur un bout de papier. Surtout puisque c’est pour culminer vers un dénouement plus ou moins fourre-tout comme l’avait fait La chute de Sparte de Tristan Dubois.
C’est donc à l’image de la finale discutable de Les rois mongols de Luc Picard, qui nous martelait des paroles de Serge Fiori et d’Harmonium, cette fois sur une émouvante reprise de Voyage voyage par Soap&Skin, que La déesse des mouches à feu essaie alors de se racheter une dernière fois pour faire de son plaidoyer un hymne à l’innocence qu’on essaie du mieux de protéger. Dommage que rendu là, il est un peu tard, le spectateur étant déjà assommé de toutes les autres mises en garde violentes qu’il aura subi pour en arriver là.
4/10
La déesse des mouches à feu prend l’affiche en salles ce vendredi 26 septembre.