Il y a soixante-quinze ans, le monde basculait dans l’ère nucléaire avec le largage de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, et la bande dessinée La Bombe constitue un véritable ouvrage de référence sur la naissance de cette arme de destruction massive.
Racontée en partie comme si l’uranium lui-même était le narrateur de sa propre histoire, La Bombe est une impressionnante fresque historique de près de 500 pages, qui explique en détail le contexte scientifique, militaire et politique ayant contribué à l’avènement de la bombe atomique. Prenant place sur une période de douze ans, de 1933 à 1945, la bande dessinée aborde les multiples défis techniques qu’ont dû surmonter des chercheurs comme Leó Szilárd, Enrico Fermi ou J. Robert Oppenheimer pour harnacher cette nouvelle forme d’énergie, tout en dépeignant la course contre la montre engagée entre les États-Unis, l’Allemagne, le Japon et l’URSS, pour fabriquer les premiers cette arme susceptible de changer l’issue de la Deuxième Guerre mondiale. De la mise sur pied du Projet Manhattan en passant par les tests dans le désert de Los Alamos ou les raisons derrière le choix d’Hiroshima comme cible, vous apprendrez tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la bombe atomique sans jamais oser le demander avec cet album.
Comme on peut s’y attendre de l’histoire d’une arme de destruction massive ayant causé plus de 280 000 morts, La Bombe compte son lot de drames humains, à commencer par celui du professeur Leó Szilárd, un physicien américano-hongrois qui a tout fait pour convaincre les États-Unis de développer l’arme nucléaire avant les Allemands, et qui a ensuite remué ciel et terre pour que ces derniers ne l’utilisent jamais, redoutant une course aux armements qui aurait le potentiel d’anéantir la Terre. À travers le personnage de Naoki Morimoto, l’album rend un hommage vibrant aux victimes d’Hiroshima, et les scénaristes ne négligent pas de mentionner que le Japon était prêt à capituler bien avant que les Alliés ne larguent leur bombe atomique sur le pays. Comme si les horreurs envers la population japonaise n’étaient pas suffisantes, on y apprend aussi que le gouvernement américain a injecté du plutonium à ses propres citoyens, à leur insu et sans leur consentement, dans le seul but de connaître les effets de la radiation sur la santé humaine.
Les dessins précis et le trait réaliste de Denis Rodier dans La Bombe évoquent le travail de Sébastien Verdier sur Orwell, et l’utilisation du noir et blanc augmente l’aspect déjà dramatique du récit. Bien qu’il s’agisse d’une bande dessinée assez verbeuse, l’illustrateur dynamise ses nombreuses conversations en les situant dans des diners, sur le pont de Brooklyn, ou à l’ombre de Big Ben. En dehors des têtes parlantes, il insère plusieurs scènes d’action à travers l’intrigue, dont l’attaque de Pearl Harbor, le débarquement de Normandie ou le sabotage de l’usine de Vermolk en Norvège. Rodier crée aussi un inconfortable contraste, en opposant la joie des Américains d’avoir « réussi » à plusieurs pages de destruction apocalyptiques, avec des bâtiments soufflés par la déflagration, et des civils s’enflammant lors du bombardement d’Hiroshima. L’album se conclut sur une postface de chacun des trois créateurs, et une bibliographie d’ouvrages ayant servi à la documentation.
En utilisant le médium de la bande dessinée, La Bombe rend l’Histoire vivante et aussi palpitante qu’un thriller de fiction, et cet album coup-de-poing permet de mieux comprendre cette épée de Damoclès nucléaire suspendue au-dessus de nos têtes.
La Bombe, de Alcante, LF Bollée et Denis Rodier. Publié aux éditions Glénat, 472 pages.
Deux nouveaux albums dans la collection Ils ont fait l’Histoire