Quelle étrange ambiance, mercredi soir, alors que le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) présentait la grande première de Zebrina, une pièce à conviction, sa toute première oeuvre de la nouvelle saison automnale. Étrange, en effet, puisque non seulement la programmation du théâtre a dû être revue de fond en comble, mais ce journaliste n’était même pas dans la salle sise rue Sainte-Catherine. Distanciation sociale oblige, la pièce était plutôt diffusée en ligne. L’occasion de voir Emmanuel Schwartz bien installé dans son divan, une tasse de café à la main.
C’est effectivement l’irremplaçable Emmanuel Schwartz qui interprète ici un bibliothécaire néerlandais, à la vie habituellement particulièrement ordinaire et sans histoire, mais dont la découverte d’un guide de voyage en retard de 133 ans le pousse à entamer une chasse à l’homme planétaire.
Qui est la personne qui est venue porter le livre en question dans la chute de nuit de la bibliothèque? Et, surtout, qui est ce mystérieux « A. », celui ou celle qui a emprunté le livre, il y a plus d’un siècle? Pourquoi sa seule adresse disponible est-elle en Chine? D’indice en indice, le bibliothécaire sort peu à peu de sa coquille, découvre le monde, tout en nous offrant une intéressante leçon d’histoire.
Ladite leçon prend d’ailleurs peu à peu des allures de voyage mystique; cet emprunteur mystérieux ne serait rien d’autre que le « juif errant » biblique, celui qui aurait refusé que Jésus se repose sur son porche, et qui s’en trouva « maudit » pour l’éternité. Et à mesure que le bibliothécaire progresse dans son enquête, c’est aussi sa foi, ou peut-être l’absence de celle-ci, qui est remise en question.
Après tout, prouver l’existence de ce personnage normalement fictif reviendrait à répondre à l’une des plus grandes questions de l’humanité: Dieu existe-t-il? Et n’est-il pas présomptueux que l’existence d’une figure divine soit prouvée – ou infirmée – par un simple bibliothécaire néerlandais qui est tombé, par hasard, sur un guide de voyage remis après une période de retard de 133 ans?
Parfois humoristique, parfois dramatique, bien souvent philosophique, la pièce créée par Glen Berger force à la réflexion. D’autant plus que notre homme, seul sur scène, a été épuisé par sa quête. Sa carrière est sacrifiée, ses échecs amoureux reviennent à la surface pour le hanter, sa santé mentale ne semble tenir qu’à un fil…
Comme toujours, Schwartz, seul sur scène, occupe tout l’espace. Magnifique, voire magistral, l’acteur incarne avec brio les sentiments souvent contradictoires de ce bibliothécaire poussé dans ses derniers retranchements. Et lorsque s’éteignent finalement les lumières sur scène, c’est un homme et un personnage accomplis qui quittent en même temps les planches.
Il importe aussi de souligner, ici, que la captation et la retransmission furent sans faille. Si la formule du « théâtre à la maison » est hélas à imputer à cette pandémie qui continue de faire des ravages, on pourra au moins se consoler quelque peu en se disant que la culture, elle, est toujours bien vivante, et se battra jusqu’à la fin… ou jusqu’à un vaccin, fort probablement.
Zebrina, une pièce à conviction, de Glen Berger, avec une traduction et une dramaturgie de Serge Lamothe, dans une mise en scène de François Girard, avec Emmanuel Schwartz.