C’est le monde à l’envers, diront les critiques du « Big Pharma »: plutôt que de saluer un gouvernement qui leur verse des milliards pour lancer un vaccin contre le coronavirus le plus vite possible, neuf grandes compagnies ont senti le besoin de publier une lettre commune mardi, où elles s’engagent à ne pas mettre de l’avant un vaccin contre la Covid qui n’aurait pas été évalué jusqu’au bout.
La lettre s’inscrit dans un contexte où plusieurs craignent que la Maison-Blanche ne soit en train de mettre beaucoup de pression pour avoir un vaccin prêt à distribuer avant l’élection du 3 novembre. Parallèlement, le vaccin s’est bel et bien invité dans l’élection, le président Trump ne cessant d’assurer — sans avancer de faits solides — qu’il pourrait être prêt dès octobre. Et pendant ce temps, des sondages révèlent une incertitude de la population américaine qui dépasse les lignes des partis: selon un sondage récent, 82% des démocrates et 72% des républicains « craignent » que l’approbation d’un tel vaccin ne soit guidée davantage par la politique que par la science.
Les signataires font référence à cette inquiétude, disant espérer que leur entente « aidera à rassurer le public quant à la rigueur du processus scientifique et réglementaire par lequel le vaccin sera évalué et pourrait éventuellement être approuvé ».
Parmi les neuf compagnies, on en trouve quatre dont les vaccins candidats ont commencé ces dernières semaines l’ultime phase III des essais cliniques — c’est-à-dire lorsque le vaccin commence à être testé sur des milliers de personnes. Rien n’assure toutefois que ces essais pourraient être concluants dès octobre et même s’ils l’étaient, rien n’assure que l’agence américaine responsable d’approuver les médicaments (la FDA) pourrait faire passer le vaccin aussi vite à travers son processus d’évaluation. Toutefois, deux incidents ces derniers mois ont laissé craindre que la FDA ne soit perméable à l’ingérence politique: lorsqu’elle a approuvé l’usage de l’hydroxychloroquine en mai (puis a retiré cette autorisation d’urgence), et lorsqu’elle a approuvé l’usage du plasma sanguin le 23 août — dans les deux cas, des produits vigoureusement défendus par le président.
Par ailleurs, un des tests de phase III, celui de la compagnie AstraZeneca, a été temporairement suspendu cette semaine, lorsqu’un des patients a développé des effets secondaires « inattendus ». Mercredi, il était révélé qu’il s’agissait d’une Britannique, qui avait subi des problèmes neurologiques, et qui avait déjà pu quitter l’hôpital. Un tel événement n’est pas anormal dans tout essai clinique de phase III, mais les scientifiques interrogés dans la foulée soulignent tous que cela accentue davantage les risques d’un processus d’approbation qui court-circuiterait les étapes.