Il est particulier de lire une bande dessinée dont le personnage principal est antipathique, mais au-delà d’un portrait de l’économiste Hjalmar Schacht, l’abum Le banquier du Reich aide surtout à comprendre les circonstances ayant permis la montée du national-socialisme en Allemagne.
Suite à la Première Guerre mondiale et à l’Armistice de 1918, l’Allemagne se voit obligée de verser des réparations exorbitantes, qui saignent à blanc son économie. Aux prises avec des pénuries, des grèves massives et une inflation galopante, la République de Weimar menace de s’effondrer dès 1923, mais sera sauvée de la banqueroute à plusieurs reprises par le président à vie de la Reichsbank, l’économiste Hjalmar Schacht. Après la crise bancaire de 1931, le pays se retrouve avec six millions et demi de chômeurs, qui attendent qu’un guide providentiel les tire de leur cauchemar. Dans ces conditions, Adolf Hitler parvient facilement à s’emparer du pouvoir, mais puisque ses connaissances économiques sont inexistantes, il embauche Schacht comme conseiller, avant de le nommer ministre de l’Économie en 1934. Ce dernier lance alors un vaste chantier de reconstruction et de réarmement du Reich, qui donnera malheureusement au gouvernement nazi les moyens de ses ambitions, avec les conséquences funestes que l’on connaît.
Le banquier du Reich utilise un interrogatoire mené par Jacob Lieber, un agent du Mossad, comme fil conducteur pour retracer le parcours véridique de Hjalmar Schacht. Si l’économiste connaîtra la rédemption en se joignant tardivement aux opposants d’Hitler, en étant acquitté lors de son procès au tribunal de Nuremberg et en devenant conseiller économique de nations émergentes dans l’après-guerre, ce premier tome se consacre principalement à ses multiples tentatives pour sauver l’Allemagne de la faillite, et sa contribution au financement du régime nazi. Bien qu’on ne puisse nier le patriotisme de ce personnage hautain et imbu de lui-même, qui affirmait ne rien avoir contre les Juifs puisque ceux-ci étaient « indispensables au bon fonctionnement de l’économie », Schacht a tout de même présidé l’assemblée ayant établi les lois antisémites, et son aveuglement volontaire lui a même fait dire, très naïvement, que « l’idéologie ne peut rien contre le pouvoir de l’argent ».
D’un trait précis, héritier de l’école de la ligne claire, les dessins de Cyrille Ternon dans Le banquier du Reich sont réalistes, et on reconnaît au premier coup d’œil les figures historiques peuplant l’album, dont Goering, Goebbels, Himmler, Hitler ou Schacht lui-même. Avec son intrigue cérébrale, prenant place principalement dans des bureaux, des salles de ministère, des hôtels luxueux, ou à bord d’avions et de trains, la bande dessinée s’avère très verbeuse et contient beaucoup de têtes parlantes, mais l’illustrateur glisse tout de même quelques paysages ici et là pour aérer le tout, dont Londres et Berlin dans les années 1920, ou Lausanne, où ses deux enfants, Jens et Inge, étudieront loin du tumulte de l’Allemagne. Il croque également l’infâme incendie du Reichstag, et des défilés nazis grandioses, rassemblant des milliers de partisans. Sa coloration aux teintes de gris, de brun, de marron ou d’olive est loin d’être flamboyante, ce qui convient parfaitement au sérieux de son sujet.
Bien qu’il soit assez difficile de s’attacher au personnage de Hjalmar Schacht, Le banquier du Reich constitue une lecture fort intéressante, puisque la bande dessinée inculque des notions d’économie, de politique, et évidemment d’Histoire, sur l’une des périodes les plus marquantes du 20e siècle.
Le banquier du Reich – Tome 1, de Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Cyrille Ternon. Publié aux éditions Glénat, 56 pages.