Serez-vous en mesure de vaincre les forces du Mal, armé de votre crucifix et de votre sens de la déduction? Et pourquoi diable des jeux vidéo aux graphiques et effets sonores des années 1980 empêchent-ils ce journaliste de dormir? Rencontre avec Airdof Games, maître de l’horreur en 8 bits.
À l’écran, un prêtre est poursuivi par des créatures maléfiques. Impossible de se tromper sur l’identité du personnage; après tout, un pixel blanc, visible dans le cou de cet individu complètement bleu, signifie bien sûr qu’il porte un col romain. Sans oublier le crucifix, bien sûr. Bienvenue dans FAITH, sans doute le titre le plus connu d’Airdorf Games. Étrangement, cette passion pour l’horreur a commencé avec un jeu tout sauf horrifiant.
« Quand j’avais 6 ans, j’ai reçu un Gameboy pour Noël, il y avait Legend of Zelda: Link’s Awakening qui venait avec la console, et cela a largement été le début d’une vie consacrée aux jeux vidéo », confie le trentenaire dans une entrevue avec Pieuvre.ca.
« Il faut blâmer mes parents! », lance-t-il en riant.
« Ce jeu est devenu mon jeu préféré de tous les temps, puisque c’était le premier jeu qui m’appartenait… c’était le mien! Mais il m’a aussi appris beaucoup de choses à propos de ce que pouvaient être les jeux, ce qui m’a attiré vers l’industrie, et m’a mené à créer mes propres jeux. La première chose, c’est ce petit monde contenu en lui-même, l’île où se déroule le jeu… Et mes actions avaient une influence dans le jeu. C’est un divulgâcheur, mais après avoir triomphé du premier donjon, vous franchissez un village qui était paisible avant ce donjon, mais en votre absence, des monstres ont kidnappé un personnage important, et les villageois viennent vous voir, apeurés, et vous demandent votre aide. C’était quelque chose de traumatisant pour moi. Mon moi de 6 ans était complètement chamboulé, et cela fait partie de la structure narrative du jeu. »
En fait presque tous les jeux développés par Aidorf Games sont liés, d’une façon ou d’une autre, à Link’s Awakening, mentionne le créateur vidéoludique. « C’était un moment charnière dans ma vie… Il m’a fallu environ six ans pour finir le jeu. »
La passion pour les jeux vidéo n’a cessé de grandir depuis. Et puisque ses parents n’aimaient pas les jeux vidéo, « j’ai dû me rendre discrètement au domicile de mes amis pour pouvoir essayer des jeux », dit le trentenaire.
L’intérêt pour les jeux d’horreur, lui, s’est développé à partir du secondaire, « lorsque j’ai loué une copie de Fatal Frame, sur la PlayStation 2. J’y ai joué à la maison de ma copine ».
« J’avais cette étrange habitude de louer des jeux, mais de ne pas avoir la console nécessaire, alors je me rendais chez des amis et je leur disais « Tiens, j’ai ce jeu, jouons-y, je ne peux pas le faire moi-même »… »
« Et donc, poursuit-il, nous sommes restés debout, et nous avons joué à Fatal Frame, et c’était une expérience terrifiante, puis nous avons joué à la suite… que je n’ai pas fini avant il y a peu de temps, parce que le début du jeu était si terrifiant. J’aimais déjà les films d’horreur, et j’ai eu envie de créer des jeux pour faire peur aux joueurs. »
Faire peur… à un YouTubeur
La sortie de Slenderman, en 2011, avec sa structure conçue pour faire sursauter (les fameux jump scares), a alimenté le phénomène des let’s play, où des personnes jouent à des jeux en étant filmés, leurs exploits étant ensuite retransmis sur YouTube, ou, plus récemment, sur Twitch.
C’est à cette époque qu’Aidorf Games a eu l’idée de créer un jeu d’horreur, mais un jeu principalement conçu pour effrayer une personne en particulier: Markiplier, l’une des grandes personnalités sur YouTube.
« Des idées se sont promenées dans ma tête jusqu’en 2015, environ… J’avais une vieille copie de Game Maker, à la suite d’un cours suivi à l’université. Et cela ressemblait à un clone d’Oregon Trail, et plus spécialement le simulateur de chasse d’animaux dans certaines versions d’Oregon Trail, mais maintenant, un monstre vous poursuivait. Et vous êtes un prêtre, et au lieu de tirer sur le monstre, vous utilisez un crucifix pour le repousser. Et c’est comme ça que FAITH est né… Mon premier jeu commercial, que j’ai mis sur Itch.io », une plateforme spécialisée dans la diffusion de jeux indépendants.
« Le jeu a lentement commencé à attirer l’attention. Et les let’s players qui jouent à des jeux d’horreur ont largement contribué au développement de mon premier titre, parce qu’en observant Markiplier, sur YouTube, pendant si longtemps, j’ai créé un profil psychologique pour lui, et certaines parties de FAITH, et des deux chapitres suivants, qui sont spécifiquement conçus pour l’effrayer. Cela peut sembler bizarre, mais il y a tant de réactions, et ses vidéos ont tellement de trafic… Et donc, en 2015, quand je développais FAITH, j’ai spécifiquement ajouté une section avec des mannequins, parce que je sais que ça lui fait peur », poursuit Airdorf.
« Markiplier a fini par jouer à FAITH, et c’était une expérience vraiment surréelle de le voir jouer à quelque chose conçu spécifiquement pour leur faire peur. Et je pense que ce fut une expérience positive, notamment en raison des chiffres de ventes, après cette vidéo… J’adopte une approche visant à déterminer ce que les gens devraient ressentir, lorsqu’ils jouent à mes jeux. Pour l’horreur, ce n’est pas seulement de la peur ou de l’effroi, mais vous voulez avoir des moments et des sentiments spécifiques. Et j’adapte fréquemment ce design aux let’s players et aux YouTubeurs. »
Visuels anciens, design contemporain
FAITH et les autres titres d’Airdorf Games auraient-ils pu fonctionner si l’engin graphique utilisé était moderne, plutôt que de rappeler l’époque des premiers jeux sous DOS, ou sur les autres plateformes du début des années 1980?
« J’ai joué à Oregon Trail vers le milieu des années 1990… Alors, j’étais un peu là quand ce genre de graphiques étaient encore en vogue, mais c’est vrai que je n’ai pas connu les débuts, notamment avec le Commodore 64. L’une des raisons de mon intérêt pour ce style rétro tient à mon passé. Je ne pouvais pas ramener des jeux comme Diablo ou Mortal Kombat à la maison. J’étais coincé avec le Super Nintendo… jusqu’à ce que « j’emprunte » un Nintendo 64 à un ami qui était déjà passé au Game Cube! », mentionne Airdorf.
« Les ordinateurs sont une autre raison. Notre famille a eu un ordinateur avec Windows 95 quand j’avais environ 8 ou 9 ans. Je n’ai jamais eu d’ordinateur puissant. J’ai été estomaqué quand j’ai vu une machine assez puissante pour faire tourner Doom 3. Pour toutes ces raisons, je suis resté avec les jeux rétro. Je suis probablement le pire cauchemar des développeurs de jeux AAA contemporains. Par exemple, je n’ai aucun intérêt à jouer à The Last of Us, Part II… Naughty Dog (le studio de développement) fait de l’excellente conception de niveaux, mais je ne veux rien savoir du doublage, des personnages qui souffrent et se font tuer… J’ai constamment des débats avec des amis qui n’ont aucun problème à délier les cordons de la bourse pour acheter les plus récents jeux. Il y a tant de titres disponibles, et je n’ai fait qu’effleurer la pointe de l’iceberg en matière de design. »
« Je suis satisfait de rester à une époque avec de gros pixels, sans effets spéciaux modernes, et des jeux qui fonctionnent sur un grille-pain. »
Il ne fait d’ailleurs aucun doute que l’un des attraits de la série FAITH tient justement à l’imprécision des graphiques. Ces pixels blancs éparpillés sur le sol sont-ils de simples éléments du décor, ou des os répandus là par une créature terrifiante qui pourrait surgir dans la pièce à n’importe quel moment?
Impossible de passer sous silence, aussi, ces voix déformées tout droit sorties d’un synthétiseur de paroles des années 1980 ou 1990, avec une bonne dose de distorsion pour accentuer le côté malsain de la chose. Et qu’en est-il de ces images soudainement plus fluides, ces monstres qui s’animent tout d’un coup et qui emplissent la quasi-totalité de l’écran, bien souvent quelques instants avant de tuer le joueur? Bref, Airdorf sait jouer sur les codes. À un point tel, en fait, que sa popularité a légèrement dépassé sa capacité de produire rapidement le tant attendu troisième chapitre de FAITH.
« Il y a eu quelques changements importants dans ma vie ces derniers temps », confie le développeur, qui est d’ailleurs devenu papa, plus tôt cette année. Et malgré l’aide précieuse de New Blood Interactive, un éditeur et développeur connu pour ses jeux rétro, principalement des jeux d’action, Airdorf ne peut donner de date précise de lancement de sa « trilogie maléfique », qui rassemblera les trois parties de sa saga mêlant horreur et religion, et qui doit débarquer sur Steam.
Et s’il lance, mi-sérieux, mi-blagueur, que les internautes qui demandent constamment à connaître la date de sortie de FAITH, Chapter III seront bannis, il dit comprendre que ces gens ne cherchent pas à nuire, mais qu’ils apprécient réellement ses créations.
Des jeux qui inspirent
Sans surprise, certains des jeux préférés d’Airdorf Games sont des jeux d’horreur. Y compris un titre tué dans l’oeuf par une compagnie maintenant honnie par bien des joueurs.
- PT
- « Évidemment, PT est probablement mon jeu d’horreur favori, et a largement inspiré beaucoup des expériences que j’ai créées. Je pense que si Konami n’avait pas mis fin au développement de Silent Hills, ce jeu aurait possiblement été le meilleur jeu de tous les temps. Aujourd’hui, PT n’est plus vraiment trouvable, à moins de payer plusieurs centaines de dollars pour une console PlayStation qui a encore une copie du jeu dans sa mémoire. Même les clones du titre n’ont pas exactement la même ambiance. »
- S.T.A.L.K.E.R.
- « S.T.A.L.K.E.R. est sans doute mon deuxième jeu préféré, notamment avec son univers vivant où des choses se déroulent, que vous soyez là ou non. À l’instar de Skyrim, en partie, le jeu est le meilleur exemple de jeu émergent que j’ai vu. Le système d’intelligence artificielle fait en sorte que les événements se produisent, parfois à des kilomètres de l’endroit où vous vous trouvez. Chaque scénario que vous rencontrez vous offre un très grand nombre d’options pour en venir à bout. Le gameplay se crée un peu tout seul, à partir des éléments disponibles. C’est quelque chose que j’aimerais faire un jour, au lieu des séquences extrêmement scriptées de FAITH.
- Legend of Zelda: Link’s Awakening
- « Simplement pour l’inspiration offerte… Cette idée que vous vous trouvez dans un monde fermé où vos actions influencent ce microcosme, cette histoire et cette culture. »
- Dark Souls III
- « Un autre jeu favori… C’est un monde extrêmement sombre et déprimant, mais amusant à la fois. C’est un jeu de la série Souls, avec une courbe de difficulté très abrupte; j’y ai si souvent joué, mais à chaque nouvelle partie, je suis renversé par la conception des niveaux. C’est un peu comme une partie d’échecs, mais vous êtes en plein milieu du plateau, et vous devez trouver une façon de vous sortir de cette situation. J’aime aussi le combat, notamment parce que cela s’appuie beaucoup sur les animations. Dark Souls III est un big deal. »