Qu’obtient-on lorsque l’on mélange la combinaison de génie et d’esbroufe d’Alan Moore et les questions raciales qui continuent de profondément diviser l’Amérique? La télésérie Watchmen, bien entendu! Diffusée sur HBO, cette série en neuf épisodes mélange fort adroitement les questions abordées dans la BD et le film et les enjeux touchant au racisme et à la discrimination qui empoisonnent toujours les États-Unis.
Lancé en 1986, le roman graphique Watchmen, d’abord publié en 12 volumes, raconte l’histoire d’une Amérique victorieuse au Vietnam, notamment, mais rongée plus que jamais par la violence, le communautarisme et une tendance autodestructrice. Sous l’égide d’un Richard Nixon qui n’a jamais démissionné en raison du Watergate, les États-Unis sont aux portes de l’abîme nucléaire avec les Soviétiques. Il en reviendra à Ozymandias, de son vrai nom Adrien Veidt, un scientifique brillant doublé d’un homme d’affaires redoutable, d’empêcher la Troisième Guerre mondiale. Le problème, c’est que pour ce faire, il tue trois millions de personnes en faisant apparaître ce qui est considéré par le public comme un animal extradimensionnel au-dessus de New York, provoquant un massacre au passage.
Trente ans plus tard, Veidt est emprisonné sur une mystérieuse propriété aux allures de domaine anglais, c’est l’acteur Robert Redford qui est président des États-Unis – et qui a tenté de rééquilibrer les rapports raciaux entre Blancs et Noirs, provoquant l’ire de certains groupes suprématistes blancs au passage –, et dans la ville de Tulsa, en Oklahoma, c’est carrément l’avenir de l’humanité qui sera mis en jeu.
Ainsi débute, en gros, la télésérie présentée l’an dernier sur HBO: il règle une trêve difficile entre la police et la Seventh Cavalry, un groupe suprématiste violent qui a déjà lancé un raid meurtrier contre les forces de l’ordre, trois ans auparavant. Résultat, les policiers, tout comme leurs adversaires, sont maintenant masqués, et tous cherchent à cacher leur identité. Au milieu de tout cela, Angela Abraham, interprétée par Regina King, concilie difficilement ses rôles de mère, de propriétaire d’une boulangerie et de « superhéroïne » costumée appelée Sister Night, du nom d’un personnage de film de blaxploitation des années 1980. Angela ne s’est jamais vraiment remise de la mort de ses parents, tués au Vietnam par un Vietnamien désirant venger la défaite de son pays face aux forces américaines, et c’est notamment à ce moment qu’elle a décidé de devenir policière. Ciblée par le raid meurtrier de la Seventh Kavalry, elle « prend sa retraite » et continue de combattre le crime, mais en portant un masque et un costume de bonne soeur en cuir.
Angela a aussi de la famille étroitement liée à l’histoire de Tulsa, où elle vit avec sa famille. Son grand-père a en effet été témoin du Massacre de 1921, au cours duquel le quartier Greenwood, surnommé Black Wall Street en raison de sa prospérité et du fait qu’il s’agissait d’un endroit habité par des Noirs riches, a été incendié et bombardé par des Blancs. Au moins plusieurs dizaines de personnes noires ont été tuées lors de ces événements malheureusement réels.
Ledit grand-père, qui s’engagea plus tard dans la police, en vint à devenir Hooded Justice, un justicier qui s’attaquait aux racistes et autres sous-fifres du Ku Klux Klan.
Et donc, un siècle après le pire massacre racial de l’histoire des États-Unis, une nouvelle guerre aux connotations suprématistes pourrait enflammer la région. En parallèle, une milliardaire plus qu’excentrique désire accaparer des pouvoirs quasi-divins pour « corriger » les problèmes sur Terre. Rien pour s’ennuyer à Tulsa, bref.
Hauts et bas rocambolesques
Complexe, bourrée de références, mais étonnamment assez facile à suivre pour les néophytes, Watchmen, nouvelle mouture, réussit bien à mêler la thématique apocalyptique du roman graphique aux enjeux raciaux liés à Tulsa. Au-delà de la lutte entre des personnalités non seulement plus grandes que nature, mais capables de provoquer, volontairement ou non, l’extinction de la race humaine, on assiste à un combat idéologique entre le Bien et le Mal, entre l’intégration et la ségrégation, entre le progressisme et les partisans d’un ethnonationalisme qui ne sont pas sans rappeler les électeurs d’un certain président américain aux tendances autoritaires.
On pourrait probablement se demander ce qui est le plus intéressant, entre la préservation de l’humanité au prix de millions de vie, 30 ans auparavant, et des événements se déroulant dans une ville rurale des États-Unis. Force est d’admettre que pour tous les détours géographiques, qui vont jusque sur Europe, la lune de Jupiter, Tulsa semble bien fade, une ville endormie face aux dangers qui menacent de détruire le monde.
Cependant, c’est effectivement dans l’exploration de la thématique du racisme que la télésérie trouve toute sa force. Bien des courants sociaux qui nuisent aux bons rapports entre les individus, de nos jours, trouvent leur source il y a plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Et cela est vrai pour quantité de pays, pas seulement aux États-Unis, même si la Guerre de Sécession est venue cristalliser cette dichotomie entre un Sud raciste et esclavagiste et un Nord un peu plus progressiste.
Ajoutez à cela une bonne dose d’inattendu et de fantastique, et Watchmen devient un document audiovisuel percutant qui trouve aisément sa place dans le paysage du divertissement. Il faudra voir si les créateurs souhaitent s’engager sur la voie d’une deuxième saison, ou si HBO décidera de s’arrêter après seulement neuf épisodes franchement réussis.