À quoi ressemblera la prochaine rentrée scolaire? Le confinement a montré que de nombreux élèves, moins bien équipés ou moins férus des technologies, étaient défavorisés devant l’école à distance. Et lorsque les jeunes ont accès à de l’équipement numérique, c’est dans l’usage qu’ils en font que l’on constate qu’ils ne sont pas tous égaux.
« Plus les parents sont éduqués, plus les élèves sont branchés: près de 80% d’entre eux sont sur Internet. Par contre, ce sont généralement des autodidactes avec une culture numérique personnelle. Plus des consommateurs que des utilisateurs dotés de compétences », résume Amina Yagoubi, chercheuse à la Chaire de recherche du Canada sur l’équité numérique en éducation de l’UQAM et co-auteure d’une récente étude, réalisée avant la pandémie.
Cette enquête sociologique auprès de jeunes de 14 à 29 ans dans six régions du Québec révèle qu’un jeune sur deux possède un ordinateur portable et presque quatre sur cinq, un cellulaire – 72% des garçons et 83% des filles. Seulement 4% des jeunes ne possèdent aucun équipement numérique.
Les jeunes sont sur Internet principalement pour se divertir (80%) mais également pour rejoindre leurs amis, pour apprendre et créer. Mais même lorsqu’ils possèdent des équipements sophistiqués, ils les utilisent plus qu’ils ne les maîtrisent.
« Le cellulaire, particulièrement le dernier modèle, c’est un objet de distinction sociale qui participe à la construction identitaire, mais renforce encore les inégalités. Les jeunes se plaignent généralement que l’école ne les aide pas à mieux utiliser les outils numériques et ils aimeraient des formations », ajoute la chercheuse.
Les filles sont plus présentes sur les réseaux sociaux, alors que les garçons leur préfèrent les jeux vidéo. Ils sont aussi ceux qui possèdent le plus souvent des bases en programmation – 44% contre 16% pour les filles. « Il y a une culture de filles et une culture de garçons, et ils ont plus de compétences numériques qu’elles. Ce clivage, on le retrouve plus tard là où ils vont étudier: on voit encore majoritairement des étudiants dans les métiers de l’informatique et du génie », ajoute Mme Yagoubi.
Même si son étude a été réalisée avant le confinement, la chercheuse trouve que celui-ci a été très révélateur des inégalités numériques. Les écoles privées ont été plus réactives alors que les écoles publiques ont été lentes à s’adapter à la nouvelle situation. Les éducateurs qui s’intéressaient déjà au numérique avaient une longueur d’avance.
« Élèves, parents ou professeurs, tout le monde était fracturé à différents degrés. Il faut donc améliorer la littératie numérique de tous : permettre aux filles de rattraper le niveau des garçons et améliorer l’accès aux connaissances, sans oublier de s’assurer d’une meilleure connexion en région. »
Cela devient même une priorité, alors que les écoles secondaires planifient cet automne une plus grande place pour les cours virtuels et l’enseignement à distance, afin de restreindre le nombre d’élèves dans les classes.
Mais pour cela, l’école doit faire sa part en ouvrant ses portes à des formations numériques dès la préadolescence, une période particulièrement sensible au développement des biais et des clivages face au numérique. Une des pistes serait, pense Amina Yagoubi, d’investir dans un écosystème de médiateurs et d’organismes destinés à poursuivre cette mission d’équité numérique.
La contagion du décrochage
Une autre manifestation de cette fracture numérique pourrait être une augmentation du nombre de décrocheurs.
Les adolescents, on le sait, ont été affectés par le manque d’école et de contacts avec leurs pairs ces derniers mois. Et si ça se rend jusqu’au décrochage, il serait même contagieux entre amis ou frères et sœurs, selon ce que décrit une étude parue dans le Journal of Educational Psychology. «Plus un adolescent a des décrocheurs dans son réseau, plus le risque qu’il décroche est élevé », résume Éric Dion, de l’Université du Québec à Montréal, co-auteur de l’étude.
Cette « contagion sociale » montre toutefois une piste pour la prévention. Car bien que le décrochage touche davantage certains milieux et certaines écoles, il est considéré comme un phénomène au long cours, l’aboutissement de plusieurs années d’échecs. En théorie donc, une intervention précoce pourrait avoir un impact bénéfique.
En partenariat avec 12 écoles secondaires qui comptent un taux élevé de décrocheurs, les chercheurs montréalais ont mené une enquête auprès de 545 adolescents, pour avoir une photographie de la situation de la dernière année. Ils se sont attardés à ce qui se passe dans le réseau social et dans l’entourage de l’élève.
« Nous avons découvert que les trois quarts ont un décrocheur dans leur entourage. Il est donc possible que ces « modèles » influencent le jeune », soutient Éric Dion. La fragilisation du lien social scolaire risque particulièrement d’éloigner ceux qui ont le plus de mal à l’école.
De plus, certains facteurs, comme une rupture amoureuse, pourraient affecter celui qui vit déjà mal l’école.
Le chercheur pense qu’il faut prendre le recul de l’été pour voir les conséquences que le confinement aura eues chez les jeunes des milieux défavorisés. « L’arrêt de la fréquentation scolaire va rendre plus difficile la réussite scolaire à venir », affirme-t-il.