On ne survit pas 80 ans sans se réinventer, et pour Supergroom, sa plus récente aventure, Spirou, l’un des plus célèbres représentants de la bande dessinée franco-belge, plonge tête première dans l’univers des comics américains.
Se sentant un peu dépassé par l’immense popularité des superhéros et se considérant comme un « has-been » n’intéressant plus personne, Spirou se remet sérieusement en question. Afin de relancer les ventes du journal portant son nom et de retrouver une certaine pertinence auprès du public, il s’invente alors un nouvel alter-ego, du nom de Supergroom. Bien qu’il ne possède aucun pouvoir particulier, le Comte de Champignac lui vient en aide, et lui fabrique un costume lui permettant de voler, ainsi que des potions décuplant sa force et son intelligence. Le justicier devient rapidement une figure emblématique de la lutte contre le crime, mais au moment où il songe à prendre sa retraite, un usurpateur ayant volé son identité fait exploser les bureaux du promoteur immobilier Power & Partners, blessant gravement un policier. Spirou devra alors redoubler d’effort pour trouver le responsable, et laver sa réputation.
On a eu droit à plusieurs itérations du célèbre groom du Moustic Hôtel dans les dernières années, et après l’avoir plongé dans la science-fiction avec Fondation Z et dans les affres de la Seconde Guerre mondiale avec L’espoir malgré tout, Spirou se prend maintenant pour un superhéros dans Supergroom. Reprendre les clichés des comics américains pour les adapter à la sauce franco-belge aurait pu donner un résultat hilarant, mais tout en se moquant du concept de la double-identité ou des noms parfois ridicules dont s’affublent les justiciers à cape, la parodie concoctée par Fabien Vehlmann exploite ce filon de manière assez superficielle, et si le but avoué de l’album est d’introduire Spirou auprès d’une nouvelle génération, les blagues sur Anne Frank ou Émile Ajar risquent toutefois d‘échapper à un jeune public.
Fantasio, qui accompagne habituellement le jeune héros dans la plupart de ses aventures, joue un rôle très secondaire dans Supergroom et, probablement dans de le but de le mettre au goût du jour, le scénariste prend de grandes libertés avec la personnalité même de Spirou, qui en disent long sur sa perception des jeunes d’aujourd’hui. Normalement d’un positivisme à toute épreuve, le groom est dépeint ici comme un être amer et légèrement dépressif, qui considère que ses aventures l’emmenant à prendre l’avion ou la voiture pour sillonner la planète s’opposent à ses préoccupations écologiques, en plus de l’empêcher de voir sa famille et ses amis autant qu’il le souhaiterait. On le verra même ivre dans un bar dans une case, ce qui aurait été absolument impensable à l’époque de Franquin.
Bien que l’on reconnaisse immédiatement le jeune homme à la tignasse rousse, la représentation visuelle de Spirou n’est pas constante d’une case à l’autre, alors que l’illustrateur Yoann le dessine parfois de manière classique, avec un visage simplifié et des courbes arrondies, et l’esquisse à d’autres moments d’un trait se voulant un peu plus réaliste. S’inspirant du look des superhéros, il modernise sa livrée de groom de belle façon en puisant dans l’esthétique steampunk, et même Spip, son fidèle écureuil, aura droit à son propre costume rouge. L’album délaisse le mystère et l’aventure caractérisant la série en faveur d’une action à l’américaine, avec des batailles, des poursuites effrénées, des explosions à grand déploiement, ou des effondrements de bâtiments, et même la taille de Supergroom, plus petite qu’une bande dessinée franco-belge typique, semble se mouler au format des comics.
Peut-être suis-je un puriste, mais il me semble que cette réinvention de Spirou sacrifie plusieurs éléments clés de la série, dénaturant même la personnalité du héros. Cependant, les jeunes qui connaissent peu cette figure emblématique de la bande dessinée franco-belge et à qui l’album s’adresse, risquent tout de même de passer un bon moment avec Supergroom.
Supergroom, de Fabien Vehlmann et Yoann. Publié aux éditions Dupuis, 88 pages.