Aussi étrange que cela puisse paraître, il y a déjà 30 ans que huit « biosphériens » se sont enfermés pendant deux ans pour mener à son terme l’expérience Biosphere II, une aventure scientifique, mais aussi théâtrale et possiblement spirituelle racontée en détail dans Spaceship Earth, un documentaire intrigant réalisé et produit par Matt Wolf.
Biosphere II, c’est non seulement cette gigantesque installation supposée pouvoir fonctionner en circuit fermé, avec sa propre eau, mais aussi ses propres plantes, ses sources de protéines et son air, mais c’est aussi – et surtout – l’aboutissement de 30 ans de vie communale, environnementale et utopiste d’un groupe de jeunes adultes ayant décidé, au milieu des années 1960, de tout laisser tomber pour se regrouper autour de John Allen, un visionnaire qui a notamment mêlé futurisme et théâtre.
Pour Allen et son groupe, la course à l’espace des années 1960 semble aussi avoir marqué le début d’une réflexion sur la nécessité de développer une méthode pour survivre de façon indépendante dans l’immensité de l’espace. À quoi bon coloniser la Lune et Mars, en effet, si l’humanité est incapable de s’y sustenter, et se retrouve donc condamnée à dépendre éternellement de la Terre (et de ses ressources environnementales limitées) pour prospérer.
Cette vision est également une vision « verte » de notre propre planète. Alors que l’on envisageait déjà, dès les années 1960, les grands bouleversements environnementaux dont nous subissons maintenant les impacts, notamment avec de grandes périodes de sécheresse, des feux de forêt toujours plus intenses, ainsi qu’une multiplication potentielle des pandémies en raison de la surexploitation des ressources naturelles, cette idée de la vie en circuit fermé est donc valide autant ici qu’ailleurs dans notre galaxie.
En un sens, cette expérience Biosphere II est à la fois particulièrement représentative des sixties, mais aussi de l’optimisme qui prévalait toujours au début des années 1990, avant la crise technologique de 1999, ainsi que les attentats du 11 septembre 2001. À quelle autre époque, en effet, aurait-on pu envisager de préparer, mais aussi de financer et de tenir une telle aventure scientifique et environnementale? Il y avait bien eu la tragédie de Challenger, quelques années auparavant, lors de laquelle le programme spatial américain avait subi une horrible tragédie, mais l’idée de l’exploration spatiale semblait de nouveau susciter l’enthousiasme des foules. Cela n’est pas pour rien, d’ailleurs, que les huit participants portaient tous, lors des événements officiels, des uniformes rappelant une quelconque série de l’univers de Star Trek…
Mais comme le précise le documentaire de deux heures, Biosphere II est autant un coup de dés scientifique qu’un grand coup d’esbroufe. Après tout, les penseurs originaux du projet ne sont pas des chercheurs, mais des idéalistes, des rêveurs. Rien de mal à cela, certes, mais lorsque l’on prétend mener une expérience scientifique, expérience qui est rapidement critiquée en raison de son aspect impossible à répliquer pour tenter de reproduire les résultats obtenus, que l’on est financé par un magnat texan de l’énergie – et donc, du pétrole –, et que certains gestionnaires s’emmurent dans le secret, pendant que les rumeurs les plus folles courent à propos du projet et que celui-ci, confronté à des imprévus, force les scientifiques à « tricher » pour s’assurer de finir leur mission, voire de carrément survivre, difficile de savoir si le tout tient véritablement du projet utopiste, ou simplement d’un coup de tête qui a eu des répercussions pendant un quart de siècle.
Pire encore, voire des gestionnaires financiers prendre le contrôle du projet, peu de temps après la fin de la première mission, des gestionnaires dirigés par nul autre que Steve Bannon, futur nationaliste d’extrême droite, néonazi en puissance et éminence grise du président Donald Trump, fait en sorte que Biosphere II tient davantage de la farce que de la mission scientifique sacrée.
Le projet a-t-il été mal dirigé? Probablement. L’objectif était-il noble? Tout à fait. Et le documentaire représente tout à fait bien la dichotomie entre ces chercheurs et ces idéalistes qui croient réellement qu’il est encore possible d’apprendre à vivre de façon autonome, sans (trop) taxer l’environnement de notre planète, et avec ces purs rêveurs, comme John Allen, qui ont peut-être agi de la sorte pour simplement s’amuser.
Spaceship Earth est un documentaire sur ce à quoi notre société aurait pu ressembler. Au moment où nous sommes encore coincés dans une pandémie, que les tensions raciales sont largement ravivées aux États-Unis comme ailleurs dans le monde, et qu’il semble y exister un potentiel retour de l’émerveillement lié au vol dans l’espace, le film sert autant de capsule temporelle que d’avertissement.