Les géologues pensent bien connaitre les bases de l’histoire de la Terre. Mais plus ils en apprennent, plus certains pans deviennent confus, comme en témoignent les controverses des dernières années autour de la chimie de la Terre primitive. Et une partie de la confusion vient du fait que certaines des roches qui pourraient régler les différends sont au sein de collections privées ou difficiles d’accès.
Un récent article d’opinion signé dans la revue Nature par cinq experts de trois pays, détaille la nécessité de combattre ces obstacles en rendant ces échantillons de notre lointain passé accessibles au plus grand nombre de chercheurs.
Ainsi, le débat autour des variations des rapports carbone-isotope dans les roches carbonatées, celles qui enregistrent les changements environnementaux globaux; une interprétation aujourd’hui remise en question par certains qui réclament d’autres analyses géologiques et chimiques sur les mêmes échantillons.
Les vastes bases de données créées récemment ne semblent pas avoir réglé ce problème: il est fréquent que ces échantillons demeurent dans leurs collections privées plutôt que dans des musées ou des archives institutionnelles disponibles pour tous. Dans de tels cas, même des équipes de géologues ne peuvent y accéder pour vérifier la robustesse et la reproductibilité du travail de leurs collègues.
C’est pour cela que les auteurs de l’article de Nature – dont le directeur du Musée américain d’histoire naturelle du Smithsonian, Kirk Johnson, le conservateur de minéralogie et de météorites du Musée d’histoire naturelle de Yale, Noah Planavsky ou le professeur de paléontologie et de stratigraphie à l’Université de Nanjing de Chine, Shuzhong Shen – réclament un meilleur partage des données géologiques.
Concrètement, ils demandent aux chercheurs, aux musées, aux bailleurs de fonds, aux sociétés scientifiques et aux revues, de veiller à ce que tous les échantillons de roches à partir desquels des données géochimiques ont été produites et publiées, soient conservés, archivés et mis à la disposition de l’ensemble des chercheurs.
Parfois, l’interprétation difficile et contradictoire des données géologiques peut simplement venir du fait que la même méthode appliquée à différents types de roches sédimentaires, donne des incohérences. Les roches sont des combinaisons de différents minéraux formés au cours de différentes étapes d’une longue histoire.
Une autre raison touche à la variation géographique et temporelle. Prélevés à divers endroits où les roches ont été déposées à différents moments et dans des environnements de toutes natures, ces échantillons peuvent fournir des réponses différentes.
Et même quand les mesures peuvent être comparées, l’analyse peut différer en raison de l’instrumentation ou de la préparation des échantillons (comme le concassage).
Sans compter les contaminations qui surviennent tout au long de leur histoire. En devenant « roche », les sédiments passent par différentes étapes qui peuvent modifier les signaux géochimiques d’origine. Sur les fonds marins ou au fond d’un lac, les sédiments peuvent par exemple subir des changements dus au niveau de l’eau ou à la salinité. Les procédés hydrothermiques ou la chaleur en profondeur peuvent lessiver les produits chimiques de la roche et donc, modifier sa composition minérale.
Des normes et des coûts
Le fait que l’archivage des échantillons ne fasse pas partie du protocole standard est en partie lié au fait que la cueillette des échantillons découle d’une opération très onéreuse, et les chercheurs peuvent alors hésiter à les partager.
Le financement modeste ou carrément le manque de fonds, l’endroit où entreposer les échantillons, de même que leur gestion, peuvent aussi constituer des obstacles à l’archivage géologique. Aucun musée ne dispose de l’espace ou du personnel pour détenir tous les échantillons géologiques et géochimiques de l’histoire de la Terre.
Il est toutefois possible de s’inspirer de ce qui se fait comme archivage dans d’autres domaines, tel que le Global Genome Initiative, un protocole de partage de données pour les dépôts de tissus congelés, qui s’appuie sur la collaboration de plus de 100 institutions.
Certains domaines des sciences de la Terre déposent déjà des échantillons dans des musées accessibles au public et il est possible d’y voir des spécimens de fossiles ou de météorites, entre autres. Les paléontologues doivent le faire pour les échantillons officiellement décrits dans les publications scientifiques depuis plus de 150 ans.
La division de paléontologie des invertébrés du Musée d’histoire naturelle Yale Peabody à New Haven, au Connecticut, détient environ 4,5 millions de spécimens. Et près de 200 000 nouveaux échantillons géochimiques sédimentaires sont analysés chaque année. Outre ses chercheurs en conservation, la division est soutenue par deux employés à temps plein, dont l’un s’occupe des nouvelles acquisitions.
Des projets de forage ont également des politiques d’archivage strictes, tout comme des bibliothèques comme celle du Programme international de découverte des océans. Au besoin, l’initiative de données FAIR offre des lignes directrices strictes sur l’archivage des données ; elle a été adoptée par de nombreuses revues qui publient des recherches en sciences de la Terre et de l’environnement, y compris Science et Nature.
Pour parvenir à élaborer et mettre en œuvre de telles politiques d’archivage normalisées, les auteurs recommandent aux chercheurs, institutions et organismes de financement, de multiplier les collaborations. Les musées d’histoire naturelle devraient ainsi élargir leur mission d’archivage et de conservation. Et les organismes de financement devraient exiger que les propositions de subvention des chercheurs comprennent des exemples des procédures d’archivage qui seront entreprises à la fin de la recherche.