Depuis le début de la pandémie, on entend dire qu’un vaccin pourrait être disponible dans 12 à 18 mois. Les plus optimistes évoquent même un délai de six mois, soit dès l’automne. Mais le fait qu’un vaccin soit « prêt » n’est pas la fin de l’histoire, constate le Détecteur de rumeurs.
1) D’abord, trouver la bonne formule
Fabricants de produits pharmaceutiques, innovateurs en biotechnologie et autres laboratoires universitaires rivalisent pour développer un vaccin anti-COVID-19. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recensait, le 15 mai, 110 vaccins en développement, dont huit en phase d’essais cliniques. La London School of Hygiene & Tropical Medicine, pour sa part, dénombrait 169 projets de vaccins, dont 12 au stade des essais.
La multiplication des projets et des approches est une bonne nouvelle, mais elle ne garantit pas qu’on trouvera un vaccin efficace. Traditionnellement, seule une petite minorité des vaccins et médicaments expérimentés ont abouti à une mise en marché.
De plus, y parvenir dans l’année serait un précédent puisque, historiquement, le vaccin développé le plus rapidement, celui contre les oreillons, a pris quatre ans pour passer de la collecte d’échantillons viraux à l’homologation, en 1967. En 2015, un record de vitesse a été établi lors de l’épidémie du Zika, alors qu’il avait fallu sept mois pour développer un candidat vaccin acceptable pour passer à l’étape des essais cliniques. Ceux-ci n’ont cependant jamais eu lieu puisque l’épidémie s’est résorbée d’elle-même.
2) Ensuite, tester la recette
Les candidats pour un éventuel vaccin sont d’abord testés sur des cellules humaines, puis chez les animaux. Si leur efficacité et leur sécurité sont encourageantes, ils passent à l’étape des essais cliniques chez les humains. Ces essais se déroulent en trois phases, chez des groupes de volontaires de plus en plus importants. Ils visent à évaluer l’innocuité du vaccin, la dose offrant la meilleure réponse immunitaire, ses effets secondaires puis son efficacité. Ils prennent généralement de 4 à 8 ans. Dans le cas du SRAS-CoV-2, les essais en cours ne devraient pas être achevés avant la fin de l’année, voire le printemps ou l’été 2021. Il faudra aussi prévoir du temps pour les contrôles de sécurité et l’approbation par les autorités de chaque pays.
Il y a toujours la possibilité de sauter des étapes. Par exemple, en laissant les fabricants de vaccins renoncer à certaines études sur les animaux ou en faisant celles-ci en parallèle avec les premiers essais sur l’humain. Certains experts proposent d’infecter des volontaires vaccinés: ce type d’essais donne la réponse la plus rapide à nombre de questions, mais comporte des enjeux éthiques. Malgré cela, plus de 24 000 personnes de 102 pays ont signé une pétition en ligne pour se porter volontaires.
3) Enfin, le produire
Concevoir un vaccin en un temps record est une chose. Mais encore faut-il être en mesure de fabriquer et de distribuer des milliards de doses, spécialement emballées et transportées à des températures inférieures à 0ºC, dans presque tous les coins du monde.
En théorie, les usines existantes pourraient certainement produire des centaines de millions de doses d’ici la fin de l’année, si la recette était établie. D’ailleurs, plusieurs laboratoires et compagnies pharmaceutiques ont annoncé être prêts à produire ces millions de doses, même si leur vaccin n’a pas encore fait la preuve de son efficacité.
Mais comme presque tout le monde sur la planète doit être vacciné, les installations existantes risquent d’être insuffisantes. Surtout qu’on devra y poursuivre la fabrication des vaccins contre la grippe, la rougeole, les oreillons et autres infections. De plus, la distanciation obligatoire dans les usines diminue déjà les capacités de production.
Ainsi, de nouvelles usines pourraient être nécessaires, ce qui entraînerait inévitablement des délais.
Les installations de production nécessaires dépendront aussi du type de vaccin qui fonctionnera le mieux. S’il s’agit d’un vaccin fabriqué à partir du virus ou d’une protéine du virus, il devrait être plus facile d’estimer le temps nécessaire, puisque la technologie industrielle existe depuis les années 1950. Elle demande cependant du temps. Par exemple, la production du vaccin pour la grippe se fait en cultivant le virus dans des millions d’œufs de poule et chaque cycle prend plusieurs mois.
Dans le cas d’un vaccin à ARN ou à ADN, qui consiste à injecter le matériel génétique de base du virus dans les cellules humaines pour qu’elles construisent la protéine nécessaire, la fabrication devrait être plus rapide puisque le processus est standardisé. On pourrait aussi avoir besoin de le cultiver dans des cuves de cellules ou dans des plantes, comme les plants de tabac. Par contre, ces types de vaccins n’ont jamais été testés à grande échelle.
Pour un vaccin à base de gènes, qui utilise un virus non pathogène (qui ne provoque pas de maladie), la production est plus lente, car elle implique la culture de cellules animales. Elle bénéficie cependant de processus industriels standardisés, ce qui facile la production de grandes quantités.
Risques de pénurie
D’autres éléments du processus peuvent créer des goulots d’étranglement. Les vaccins qui sont composés d’une protéine SARS-CoV-2, ou d’un fragment de celle-ci, ont souvent besoin d’un adjuvant ̶ une molécule ajoutée pour stimuler la réponse immunitaire. Ces adjuvants pourraient nécessiter des ingrédients susceptibles de se raréfier.
La distribution pourrait aussi être ralentie par une pénurie de verre médical, utilisé pour fabriquer les flacons de vaccin, comme celle qui frappe les États-Unis. Quant aux bouchons de ces flacons, ils ne sont fabriqués que par une poignée d’entreprises, ce qui augmente le risque de rupture de stocks.
2 milliards pour un vaccin
Le développement d’un vaccin exige beaucoup d’argent. Au moins 2 milliards de dollars américains, selon la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), une alliance internationale qui finance le développement de vaccins contre les épidémies. Cette estimation comprend le développement de trois vaccins candidats et leur fabrication, mais exclut les frais de fabrication et de livraison.
De ce montant, 690 millions $ ont été promis à la CEPI par divers gouvernements nationaux. Le gouvernement américain a quant à lui donné près d’un milliard pour soutenir le développement des vaccins expérimentaux de Moderna Therapeutics et de Johnson & Johnson. Et le 21 mai, la Maison-Blanche annonçait une subvention de 1,2 milliard de dollars pour un vaccin en cours de développement chez AstraZeneca, précisant que la « livraison » des premiers vaccins devrait avoir lieu en octobre. Un échéancier largement improbable qui nous amène à un mois de l’élection présidentielle de novembre.
Verdict
Les vaccins pour prévenir l’infection à la COVID-19 se développent à des vitesses jamais vues, mais il est irréaliste que certains puissent être disponibles dès l’automne. Même si un vaccin se révélait hyper-efficace lors des essais cliniques de phase un ou deux qui sont en cours, il faudrait encore plusieurs mois avant une production à grande échelle et un début de campagne de vaccination.