Au Canada, les investissements en santé publique – prévention, surveillance, contrôle des maladies infectieuses, promotion de la santé, etc. – représentent à peu près 2% des budgets de la santé. C’est historiquement un peu plus au Québec, environ 3%.
Il faut comprendre qu’il y a beaucoup d’argent pour la santé — les budgets forment la partie la plus importante des budgets des gouvernements, avec 2,5 milliards pour le Canada et 90 millions pour le Québec en 2019-2020. Les soins curatifs et les investissements en infrastructures et en personnel forment l’essentiel des budgets. Mais la santé publique est le parent pauvre, déplore Christina Zarowsky, directrice du Département de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
« Il est très difficile de protéger les budgets et les activités de surveillance —y compris de dépistage — de prévention, de protection, et de prévention. Comme nous le voyons actuellement, ces activités de la santé publique « classique » sont incontournables » dans un contexte d’épidémie, pour prévenir ou pour limiter les impacts.
Le Québec, entre coupures et centralisation
Au Québec, la « Réforme Barrette », de son vrai nom Programme national de santé publique 2015-2025, a frappé de plein fouet la santé publique en 2015, par le sabrage du tiers de son budget, la réduction de son expertise et le retrait du soutien à des services essentiels tels que le programme SIPPE —Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance.
Une étude menée à ce sujet par quatre chercheurs de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) fait état de nombreuses préoccupations, dont la perte progressive des omnipraticiens œuvrant en santé publique, et un manque de formation en santé publique chez les jeunes professionnels, en particulier chez les infirmières travaillant en vaccination ou en périnatalité.
Historiquement, la santé publique a connu un réel déficit d’intérêt et de soutien financier. « L’impression que cela donnait, c’était que la santé publique, ça ne sert pas à grand chose », résume la professeure titulaire au département de Gestion, évaluation et politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Marie-Pascale Pomey. L’accent était plus mis sur le suivi des déterminants de la santé (bébés de petits poids, par exemple) et des maladies infectieuses « mais il y avait moins d’intérêt au niveau de la valorisation de la santé publique au sein du système de santé ».
Les coupures importantes ont eu des répercussions dans le social, auprès des personnes âgées ou dans la protection de la jeunesse, convient l’ancien directeur du programme québécois de santé publique (2003-2009), Marc-André Maranda. « Cette centralisation excessive, que j’avais dénoncée à l’époque, il en reste quelque chose mais c’est difficile de faire le lien avec la crise que nous vivons. Les activités de protection de la population, contrairement au dépistage ou à la promotion de la santé, ont été sûrement moins touchées ».
L’infirmière Natalie Stake Doucet voit pour sa part un lien avec la centralisation qui a suivi la réforme Barrette : le système de santé québécois peut, selon elle, ressembler à un gros paquebot dont les virages doivent s’amorcer longtemps à l’avance. « Il était déjà problématique depuis deux-trois ans, comme nous pouvions le voir avec la hausse des congés de maladie du personnel soignant, et donc pas en meilleur état pour affronter une pandémie», annonce celle qui est aussi directrice pour le Québec de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada.
Elle dénonce les faiblesses de ce système très rigide dont les équipes sont moins stables et où le manque de personnel diminue l’efficacité de gestion de la première ligne. Ce système, inspiré du « Toyota Way » se veut un mode de gestion efficace: « l’hôpital est alors traité comme une usine où il est possible d’interchanger chaque personne pour maximiser le fonctionnement. Mais l’expérience et le savoir sont mis de côté », relève l’infirmière clinicienne.
Une gestion de crise à réviser
Cette centralisation aurait pourtant du bon, particulièrement du côté des gestionnaires qui doivent prendre des décisions radicales en temps de pandémie, tempère la Dre Pomey. « Lors d’une crise aigüe, il est plus facile de gérer les ressources à ce niveau : de réorienter et de réallouer en fonction des besoins changeants, ce qui demande beaucoup d’articulation public-privé. Cette capacité de se retourner rapidement à l’échelle de la région, peut être une force de frappe ».
Elle reproche par contre aux deux paliers de gouvernement leur absence de vision commune. « II n’y a pas eu de rencontre ministérielle interprovinciale des ministres de la santé. Cela prend pourtant un lieu pour réfléchir ensemble à comment combattre la pandémie au niveau national.»
Cela a donné quelques ratés, comme un manque d’harmonisation des mesures de confinement, de la surveillance des aéroports, etc. C’est à se demander, dit-elle, si l’on n’a pas oublié les leçons du SRAS — syndrome respiratoire aigu sévère de 2003 – et les recommandations du rapport du médecin David Naylor, dont la principale était que l’on renforce les mécanismes qui régissent la santé publique au Canada.
En revanche, Marie-Pascale Pomey se dit agréablement surprise de la gestion gouvernementale de la crise. « Les points de presse rassemblant politique et santé publique, c’est un super-coup de relations publiques – il manque juste un patient. C’est très compliqué de communiquer adéquatement lors d’une crise sanitaire comme celle que nous vivons et les messages sont clairs et bienveillants », relève-t-elle.
Ce que trouve également étonnant l’ancien directeur Marc-André Maranda: « Je suis agréablement surpris de la rapidité avec laquelle le gouvernement a pris en charge cette crise sanitaire et a réussi à vendre des mesures drastiques à la population. Pourtant, nous n’avons pas la réputation d’être des champions de l’obéissance. »
Marie-Pascale Pomey est plus critique du manque d’information sur les mesures à venir, sur l’accès aux soins de santé pour les personnes à risque qui ne souffrent pas du coronavirus et sur l’impact économique qui va découler du confinement. « Il y a peu de transparence sur ce qui s’en vient. Nous avons besoin d’un lieu où trouver une information complète et c’est un peu étrange de ne pas l’avoir ».