Une chose est certaine, à propos de l’auteur américain Dan Simmons: il ne sera jamais possible de lui reprocher de manquer d’imagination. Paru d’abord en 2013 en grand format, puis en format poche en 2014, The Abominable est un roman d’aventure non seulement rocambolesque et enlevant à souhait, mais aussi une preuve indéniable que la recherche documentaire, si tant est que l’expression soit entièrement appropriée, ici, peut donner naissance à une oeuvre extrêmement détaillée, et particulièrement fascinante, entre autres pour cette raison.
Prenant la forme d’une adaptation romancée des mémoires de Jake Perry, qui est présenté comme un alpiniste qui aurait transmis ses souvenirs directement à M. Simmons au début des années 1990, Abominable raconte l’épopée incroyable de M. Perry et de ses amis Richard Deacon et Jean-Claude Clairoux, tous trois lancés dans une opération de « sauvetage » pour tenter de retrouver le corps d’un jeune Britannique, Percy Bromley, disparu sur les pentes de l’Everest, peu de temps auparavant.
Cette mission est en fait le prétexte, pour les trois hommes, de grimper plutôt jusqu’en haut de la montagne la plus élevée du monde. Nous sommes en 1924, après tout, et si diverses expéditions ont tenté de conquérir le toit du monde, personne n’y est parvenu.
Voilà donc le petit groupe lancé dans cette aventure hors norme, avec les moyens techniques de l’époque. Dan Simmons, comme toujours particulièrement en contrôle de sa plume, et lui-même déjà passionné par les montagnes (il s’est installé au Colorado dans les années 1970), se lance ici dans un récit descriptif si détaillé, en apparence si complet qu’on croirait réellement, la majorité du temps, revivre les souvenirs d’un Jake Perry depuis largement vieilli par les années et les diverses autres aventures survenues ailleurs sur la planète. En compagnie des trois amis, le lecteur revit donc les nombreux événements qui ont d’abord mené au lancement de l’expédition, puis l’expédition elle-même, qui comprendra un long voyage partant d’Angleterre pour se rendre en Inde, puis la marche, sur plusieurs centaines de kilomètres, à travers les montagnes indiennes, puis tibétaines, jusqu’au camp de base. Et de là, en compagnie de dizaines de sherpas, de la cousine de Percy Bromley, Reggie, et de son ami et médecin Pasang, tout le long des tortueuses et traîtresses pentes de l’Everest, possiblement vers l’inaccessible sommet.
Simmons l’a prouvé à maintes reprises, notamment dans la fantastique série Hypérion, ou encore dans Drood: il aime écrire, et il aime surtout créer des mondes en les remplissant de détails, parfois jusqu’à ras bord. Abominable n’y fait pas exception: on y apprendra tout ce qu’on a toujours voulu savoir – et même plus – sur l’alpinisme, et plus précisément sur l’alpinisme des années 1920. C’était une époque d’incertitude, où l’Empire britannique tenait encore debout, mais où la planète, à peine sortie de la Première Guerre mondiale, portait déjà en elle les germes de l’éclosion du deuxième conflit planétaire. C’était aussi une époque de courage, de détermination, peut-être même, sans doute, de folie. À voir les nombreux reportages sur ce qui pourrait passer pour du tourisme de masse sur l’Everest, où ce sont les embouteillages, plus que le mauvais temps, par exemple, ou le manque de ressources, qui font en sorte que la plus haute montagne du monde s’avère mortelle, on se dit qu’un certain côté aventureux est définitivement disparu. Cependant, en observant tous les problèmes auxquels nos héros seront confrontés, les obstacles qu’ils devront surmonter, et les adversaires inattendus qu’ils devront affronter (le titre The Abominable n’a pas été choisi pour rien), on s’interroge réellement sur la meilleure approche par rapport à l’alpinisme de haut vol.
Ceci étant dit, The Abominable est un excellent roman, Un roman très lent, certes, où « l’action » ne débute qu’après au moins 100 pages, mais un roman où le « méchant » n’est pas nécessairement les alpinistes qui s’aventurent sur la montagne, mais plutôt la montagne elle-même. Un choix scénaristique surprenant, mais réussi sans accroc par Simmons, dont le talent littéraire est toujours intact. À lire, bien au chaud.