Pendant qu’on parle de coronavirus, une autre épidémie, partie d’Arabie saoudite, atteint à présent l’Afrique de l’Est et l’Asie du Sud: une épidémie composée de milliards de criquets pèlerins, appelés aussi sauterelles du désert, comme on n’en a pas vue depuis un quart de siècle.
Et sachant qu’un criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) mange son propre poids chaque jour, ce sont les récoltes sur deux continents qui sont à présent visées —blé, orge, maïs, sorgho— et du coup la seule source d’alimentation de dizaines de millions de personnes. L’épidémie atteint à présent 15 pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud, du Congo jusqu’au Pakistan, selon l’Organisation des Nations Unies our l’agriculture (FAO). En Afrique, l’Est du Congo n’avait pas reçu de criquets pèlerins depuis 1944.
S’il n’est pas anormal d’avoir ces insectes dans ces régions, pareille prolifération cette année s’explique par des causes multiples: le réchauffement climatique en est une, mais cet essor aurait aussi été favorisé par deux ouragans en 2018, qui ont déversé des pluies torrentielles sur la péninsule arabique. Et la combinaison de pluie dans un désert de sable et d’eaux plus chaudes, est parfaite pour les criquets. « Une fois que ces eaux de pluie se retirent, le sol garde assez d’humidité pour que les femelles puissent pondre leurs oeufs pendant environ six mois » explique au New York Magazine le « météorologue des sauterelles » à la FAO, Keith Cressman.
Une génération vit trois mois et, si l’environnement lui est favorable, peut voir sa population se multiplier par 20 avec la génération suivante. Au Kenya, un de ces « essaims » aurait occupé une région de 2400 kilomètres carrés (l’équivalent de trois fois la taille d’une métropole) représentant des milliards d’individus, selon la FAO. S’ils mangent chacun leur poids de 2 grammes chaque jour, cela représente au final des millions de tonnes.
Du coeur de la péninsule arabique, les sauterelles du désert ont « migré » vers le Yemen puis, à la fin de 2019, vers la corne de l’Afrique. L’Ouganda a été atteint à son tour au début de février, puis l’Est du Congo. Un autre groupe s’était entretemps tourné vers le Nord, atteignant, de l’autre côté du Golfe Persique, l’Iran, puis le Pakistan.
La FAO évalue à 138 millions$ les besoins immédiats pour combattre l’invasion — mais en parallèle, réclament les chercheurs, davantage de technologie serait nécessaire aux pays africains pour être capable de suivre en temps réel l’évolution de la situation.
Il s’agit d’une catastrophe pour un agriculteur qui voit ce nuage débarquer dans leur champ, mais il s’agit aussi d’une catastrophe humanitaire en devenir, si les ravages sur les récoltes se poursuivent. La parade la plus efficace consiste à répandre des pesticides par voie aérienne —une offensive qui a ces critiques, considérant l’usage à très grande échelle qui s’avère nécessaire. Une autre arme possible: la Chine a annoncé le 27 février son intention d’envoyer 100 000 canards au Pakistan. Ceux-ci sont réputés être trois fois plus efficaces que les poulets pour dévorer des sauterelles. La technologie pourrait aussi venir en aide: en théorie, de puissants modèles informatiques pourraient prédire, à partir des déplacements de ces bestioles, leurs prochaines zones de reproduction. Mais quelle que soit la solution, il faudra agir… avant l’arrivée de la prochaine génération, en juin.