C’est un superbe concert qu’il nous a été donné de voir mercredi dernier à la Maison Symphonique. Jumelant deux tempéraments musicaux distincts: l’un par le lyrisme du concerto pour piano no. 20 de Mozart, l’autre par la grâce infinie de l’œuvre de Debussy, ce concert demeurera probablement parmi l’un des plus mémorables pour les mélomanes montréalais.
Il s’agissait surtout d’une occasion de rencontrer deux personnalités iconoclastes du monde de la musique classique. Tout d’abord, en la personnalité du chef d’orchestre Matthias Pintscher, nous avons découvert une emprise hors du commun. Drôle de choix, dirions-nous, pour diriger des œuvres aussi traditionnelles que celles de Mozart et Debussy quand on pense qu’il est directeur musical de l’Ensemble intercontemporain de Paris, un orchestre spécialisé dans la musique du XXe siècle, fondé par le mythique Pierre Boulez, pionnier de la musique concrète et aléatoire. Une prouesse plutôt particulière, car Pintscher se positionna comme un meneur de premier plan, capable d’élever l’orchestre à un niveau de grâce rarement entendu et d’arracher chaque gramme d’émotion de chaque instrument. Peut-être était-ce là le secret de la fraîcheur de la prestation de mercredi soir: Pintscher dirige l’orchestre comme l’on soupèse chaque sonorité spécifique d’une pièce contemporaine. Or, rarement n’avait-on vu une telle cohésion de l’OSM, qui est apparu solide jusque dans ses derniers retranchements. Quant à l’autre personnalité, le pianiste Emanuel Ax, celui-ci aura conquis l’auditoire dans le Concerto pour piano no. 20 de Mozart, qui demeure jusqu’à présent l’un des plus beaux moments de communion musicale que nous avons eu la chance de voir à l’OSM.
À l’allure plutôt bourrue, le pianiste d’origine polonaise mena le concerto d’une façon décontractée, presque débonnaire. La chimie entre le chef d’orchestre et le soliste était bien perceptible. Dans le premier mouvement, Mozart se joue de l’auditeur dans un aller-retour infernal entre la gravité des mesures de l’orchestre et la légèreté du thème du piano, comme une sorte de glissement rappelant le choc du ressac sur la pierre de rive. Les notes du piano font écho à la grandeur dramatique de la tonalité du ré mineur mené par le reste de l’orchestre. Ces passages sombres, notamment les coups d’archet des contrebasses, sont entrecoupés de passages poétiques d’une beauté trépignante. Le deuxième mouvement fut mémorable, magnifique, d’une douceur à frémir, comme une exquise promenade sous le clair de lune. Chaque note, lente, posée, cristalline, était étincelante de virtuosité. Toutes ces vagues, tous ces glissements bouleversants, menés en parfaite symbiose avec l’orchestre et son chef, permettent d’affirmer qu’un moment musical d’exception venait d’être vécu.
Fait inusité, Matthias Pintscher était également à la barre de l’OSM afin de diriger l’une de ses propres compositions. La pièce Ex Nihilo, ou autrement dit « à partir de rien », témoigne de son implication à titre de directeur musical de l’Ensemble intercontemporain de Paris. S’adressant au public en français et en anglais, il expliqua d’emblée que son œuvre réfère au sentiment englué d’un réveil dans un endroit mystérieux, rideaux tirés ou la perte des repères spatiaux. Glissement ténébreux des ballets sur les tambours, cliquetis, couacs tonitruants, cette pièce contemporaine très imagée rappelait quelque peu l’œuvre du compositeur Angelo Badalamenti, notamment pour son travail de la trame musicale des films de David Lynch. Bien que nous saluons sans conteste le talent de compositeur de Pintscher, il n’en demeure pas moins que la juxtaposition de cette œuvre aux allures psychosinistres a certainement été difficile à avaler pour une grande majorité du public.
L’OSM se trouvait définitivement en territoire connu dans l’interprétation du Prélude à l’après-midi d’un faune et de La mer. Là encore, le chef d’orchestre a su apposer sa marque jusqu’aux plus graves sonorités du pupitre des contrebasses qui restituait les battements de cette entité vivante et organique qu’est l’océan. Les crescendos des cordes mêlés d’angoisse se complétaient dans une harmonie de douceur. Quelle beauté ! La baguette de Pintsher, pourtant plus habituée à diriger des ensembles contemporains, a prodigué une magie cohésive aux œuvres intemporelles de Mozart et de Debussy. Un grand moment.
Pièces jouées:
Debussy : Prélude à l’après-midi d’un faune.
Mozart : Concerto pour piano n° 20, K. 466.
Matthias Pintscher : Ex Nihilo.
Debussy : La Mer.