Les océans de la planète accomplissent depuis longtemps une bonne partie du travail de séquestration du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. Des micro-organismes appelés phytoplancton, qui utilisent la lumière du soleil pour croître et absorbent le dioxyde de carbone lors de la photosynthèse, sont partie intégrante de ce processus. Des scientifiques ont d’ailleurs suggéré de semer de la limaille de fer dans les océans pour maximiser cette séquestration. Une nouvelle étude du MIT suggère toutefois que cela pourrait ne pas influencer la croissance des micro-organismes, du moins à l’échelle mondiale.
Dans le cadre de leurs travaux, les chercheurs ont étudié les interactions entre le phytoplancton, le fer et d’autres nutriments présents dans les océans, et qui aident à la croissance des organismes. Leurs simulations portent à croire qu’à l’échelle mondiale, la vie marine a entraîné une modification de la chimie des océans dans le cadre de ces interactions, évoluant pour maintenir une concentration de fer, dans l’eau, qui soutient un délicat équilibre de nutriments dans les diverses régions du globe.
« Selon notre cadre d’étude, la fertilisation par le fer ne peut pas avoir d’effet global important sur la quantité de carbone dans les océans, puisque la quantité de fer dont ont besoin les microbes est déjà équilibrée », affirme le principal auteur de l’étude, Jonathan Lauderdale, chercheur au département des sciences de la Terre, atmosphériques et planétaires du MIT.
Soupe nutritive
Le fer dont dépend le phytoplancton provient principalement de la poussière qui balaie les continents et qui retombe éventuellement dans les océans. Si de très grandes quantités de fer peuvent ainsi être déposées dans les eaux de cette façon, la majorité du fer en question tombe rapidement au fond des océans, et demeure inutilisée.
« Le problème fondamental est que les microbes marins ont besoin de fer pour se développer, mais ce fer ne reste pas en place longtemps. Sa concentration dans l’océan est si faible qu’il en devient une ressource prisée », mentionne M. Lauderdale.
Voilà donc pourquoi des scientifiques ont évoqué une fertilisation de l’eau avec de la limaille de fer pour accroître la concentration de cet élément dans l’eau. Mais la disponibilité du fer est bien plus importante si le matériau s’attache à des composantes organiques qui permettent au fer de circuler dans l’eau; ces mêmes nutriments sont d’ailleurs produits par le phytoplancton. Les nutriments en question, appelés ligands, constitue ce que M. Lauderdale appelle une « soupe d’ingrédients » qui proviennent généralement de déchets organiques, de cellules mortes, ou encore de certaines molécules qui ont évolué pour se lier spécifiquement au fier.
On connaît peu de choses de ces ligands s’attachant au fer à l’échelle des écosystèmes, et l’équipe de recherche cherchait à comprendre le rôle de ces molécules dans l’équilibre de la capacité des océans à favoriser la croissance du phytoplancton et, ultimement, absorber le dioxyde de carbone.
Au final, l’équipe de recherche estime qu’il serait possible, dans une certaine proportion, d’ensemencer les océans du sud de la planète, ou d’autres étendues d’eau pauvres en fer, et ainsi obtenir une hausse temporaire de la croissance du phytoplancton. Ces organismes utiliseraient au passage tous les nutriments disponibles dans les régions visées, ce qui ferait en sorte que les autres océans de la planète en seraient dépourvus, entraînant une baisse de la croissance du phytoplancton, et ce jusqu’à ce que le système atteigne de nouveau un équilibre similaire à ce qui existait auparavant.
Impossible, de cette façon, de favoriser l’absorption du dioxyde de carbone, jugent les chercheurs.
M. Lauderdale juge qu’il pourrait aussi y avoir d’autres impacts inattendus de la fertilisation des océans du sud de notre planète. « Nous devons considérer l’ensemble des mers comme un système interconnecté », affirme-t-il, avant d’ajouter que si le phytoplancton venait à décroître dans les eaux du Nord, cela affecterait aussi la vie marine qui dépend des organismes microscopiques.
« Environ 75% de la production de la vie marine, au nord des mers du Sud, est alimentée par des nutriments de ces mers australes, et les océans du Nord sont ceux où les activités de pêche sont les plus importantes, et où l’on trouve le plus grand nombre d’effets bénéfiques des écosystèmes marins pour les habitants qui vivent sur les terres de ces régions », poursuit M. Lauderdale. « Avant de déverser des tonnes de fer et d’attirer les nutriments dans les mers du Sud, nous devrions envisager les conséquences inattendues qui pourraient éventuellement empirer la situation environnementale. »