Depuis sa création en 1938, bon nombre de scénaristes et de dessinateurs ont ajouté leur brique à l’édifice de Spirou (dont le plus célèbre est sans doute Franquin), mais Émile Bravo signe l’aventure la plus touchante qu’ait jamais vécu le personnage, avec sa série L’espoir malgré tout.
Aux côtés de Tintin, Spirou est l’un des personnages les plus emblématiques de la bande dessinée franco-belge, et ses aventures ont marqué non seulement des générations de lecteurs, mais aussi d’artistes. Voilà pourquoi la collection « Le Spirou de… », qui permet à des scénaristes et des dessinateurs de livrer leur propre version du jeune groom, est si intéressante. Après le Fondation Z de Lebeault et Fillipi, où le héros se voyait propulsé dans un univers de science-fiction (lire notre critique ici), le bédéiste Émile Bravo fait preuve de beaucoup d’humanisme, et d’un immense talent, en utilisant les protagonistes d’une série associée à la jeunesse pour dépeindre l’occupation de la Belgique par les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale, avec sa « tragicomédie humaniste » intitulée L’espoir malgré tout.
Tandis que l’album précédent racontait l’arrivée de la guerre aux portes de la Belgique, cette deuxième partie de L’espoir malgré tout présente la vie quotidienne sous l’occupation à l’automne 1940. Pourchassés par la Gestapo et tenaillés par la faim et le froid, comme la majorité de leurs concitoyens, Spirou et Fantasio mettent sur pied un théâtre de marionnettes ambulant afin de divertir les enfants coincés au milieu de ce conflit d’adultes. Grâce au financement d’un mystérieux mécène, un certain monsieur Henri, les deux amis se lanceront dans une tournée à travers le plat pays, sans se douter un seul instant que leur spectacle de guignols, où un vilain Allemand surnommé « Grochapo » reçoit la bastonnade, pourrait leur causer bien des ennuis auprès des nazis, qui n’entendent pas à rire.
Abordant les arrestations de communistes par la police belge, la propagande du journal Le Soir, les apparitions des premières étoiles de David, la complicité de l’Église catholique, et même les jardins publics où il était interdit aux jeunes Juifs de jouer, Émile Bravo propose une étonnante chronique de guerre à hauteur d’enfants avec L’espoir malgré tout. Il est difficile de rester insensible devant ces gamins tellement affamés qu’ils demandent s’ils peuvent manger Spip, l’écureuil de Spirou, mais heureusement, en opposant l’innocence et l’idéalisme de l’enfance aux horreurs engendrées par l’occupation, le récit contient aussi plusieurs moments drôles et émouvants, et vous resterez complètement abasourdis par la finale coup-de-poing de cette deuxième partie, en vous demandant « Il a vraiment fait ça? ».
Encore une fois, les dessins d’Émile Bravo dans L’espoir malgré tout semblent avoir été réalisés à la même époque où prend place son intrigue, avec des couleurs pleines sans dégradés, des personnages dans la plus pure tradition de la ligne claire dont les yeux ne sont que des points noirs, et une coloration terreuse. Ce style visuel résolument rétro apporte une certaine naïveté à ses planches, qui vient alléger la lourdeur du propos. Après l’avoir utilisée durant la majeure partie de l’album précédent, il se débarrasse de la fameuse livrée rouge de Spirou pour cette deuxième partie, et l’affuble plutôt d’un costume qui rappelle Tintin. Plusieurs protagonistes lui en feront d’ailleurs la remarque tout au long de l’intrigue. Bravo accorde aussi plus d’importance à la figure historique du peintre Felix Nussbaum, et reproduit même certains de ses tableaux, transmettant du même coup l’envie de découvrir l’œuvre de cet artiste.
Sorte de rencontre entre l’univers de Spirou et celui du Maus d’Art Spiegelman, L’espoir malgré tout (deuxième partie) est une œuvre aussi puissante qu’émouvante, et cette bande dessinée d’Émile Bravo est assurément destinée à devenir un grand classique.
Spirou – L’espoir malgré tout (deuxième partie), de Émile Bravo. Publié aux éditions Dupuis, 92 pages.