L’Orchestre symphonique de Montréal vient tout juste de compléter une longue semaine consacrée à Franz Schubert. Ce festival récapitulait l’ensemble du répertoire de ce compositeur intronisé parmi les plus éminents de la musique classique. Chaque concert étudiait un thème particulier, de sa jeunesse, parfois plus obscure, jusqu’à la plupart des symphonies: « Inachevée », « La Grande » ou encore « tragique ». Un long marathon mené sous la baguette bientôt regrettée de Kent Nagano, dans lequel nous percevons la volonté du maestro de redonner aux mélomanes montréalais tout l’amour qui lui est porté par le public.
Mercredi dernier, le festival se consacrait aux œuvres de jeunesses de Schubert, permettant de découvrir les germes d’un génie musical qui avait alors 16 ans. La symphonie no.1 – mal aimée, jamais programmée car jugée trop anonyme – a pourtant semblé fraîche et élégante. Elle impressionna de par ses tonalités chromatiques et la variété de ses chapitres émotifs et parfois aériens. Malgré la teneur simpliste de cette symphonie produite par un orchestre réduit, Kent Nagano réussit à en extirper la matière avec une fraîcheur et une spontanéité indéniable. Les thèmes printaniers coulaient avec fluidité, portés notamment par le premier violon très impliqué. On regrettera l’absence de clarté de la harpe, élément malheureusement oublié de cette interprétation.
L’OSM en profita également pour juxtaposer le travail de Schubert à celui de ses contemporains. Cette mise en relation se matérialisait par l’insertion d’œuvres analogues au programme principal, notamment les valses de Joseph Lanner, de Johan Strauss II, de récitatifs allemands, les lieder, ici interprétés par le ténor Ian Bostridge. Cette association avec l’œuvre de jeunesse de Schubert confronte ce dernier à sa dualité, entre ses humeurs graves et sombres et son époque de musique joyeuse portée par la valse. Nous pouvons toutefois déplorer que le concert qui en résulta ressemblait quelque peu davantage à une succession de tableaux décousus qui se succédèrent à grande vitesse, la courte durée des œuvres présentées laissant à notre avis bien peu de place à la contemplation ou à l’analyse.
La valse, genre musical par excellence de la Vienne du XIXe siècle, où l’étincelle des dorures et du champagne se mêle à la profondeur du regard amoureux des cavaliers, n’est malheureusement plus au goût du jour en cette époque moderne peu romantique, d’éphémère et de consommable. Qu’à cela ne tienne, la Maison symphonique s’est transformée en salle de bal à l’occasion de cette soirée menée dans la plus pure tradition romantique afin de célébrer cette danse en trois temps pour couples enlacés.
Dans Die Schönbrunner Waltz Op.200 de Joseph Lanner, l’OSM restitua avec élégance l’archétype de la « valse parfaite ». L’aspect joueur du genre musical fut brillamment évoqué, notamment par l’accent des flûtes traversières qui ponctuent ce trop court morceau.
Dans les deux lieder de Schubert, Ian Bostridge s’illustra par son lyrisme expressif et sa sensibilité sur scène, n’hésitant pas à gesticuler pour communiquer son émotion. Ces œuvres narrées en allemand démontrent l’intérêt des romantiques pour le thème éthéré du printemps, bien que la subtile progression des tonalités à la fin de chaque strophe révélait plutôt un certain lyrisme noir. Les intonations du texte allemand étaient parfaitement saisies par l’orchestre, bien qu’on pourrait suspecter un certain manque de complicité entre Bostridge et Nagano, ce dernier peinant peut-être à sublimer le surplus émotif du ténor dans le contrôle de l’orchestre.
La Valse de l’empereur de Strauss constitua le clou de la soirée. Mené avec dignité, le génie du « roi de la valse » était porté à son comble. Surtout connue des mélomanes pour son « beau Danube bleu », la Valse de l’empereur constitue probablement sa deuxième œuvre la plus célèbre. Toute en rondeur, portée par les cuivres, la section des trombones s’illustra de façon grandiose dans une finale étincelante d’un vibrato poignant. En fermant les yeux, on pouvait presque se prétendre dans cette Vienne romantique, où pompe et dignité allaient de soi.
L’OSM continuait ainsi son long voyage dans l’exploration de l’univers de Schubert et de ses contemporains, ce festival musical s’achevant vendredi dernier par l’interprétation du Voyage d’hiver et de la Symphonie No. 9, dite la « grande », et avec un récital du pianiste Paul Lewis. Ce festival achevé, c’est sans conteste qu’on y décèle encore une fois la passion débordante de Kent Nagano pour son orchestre et son désir altruiste de communiquer celle-ci au public montréalais. Il n’y a pas à dire, la continuité de cette saison, la dernière de Nagano à la barre de l’orchestre, sera assurément à ne pas manquer. À l’initiative de l’OSM, il est d’ailleurs possible depuis peu d’écrire un mot ou d’enregistrer un message de gratitude au maestro sur le site web de l’orchestre.
Pièces jouées:
Franz Schubert:
Symphonie no 1 en ré majeur, D. 82;
Violette, pour voix et orchestre, D. 786, orch. Detlev Glanert;
Rosamunde, D. 797 : « Ballet no 2 »;
Das Lied im Grünen, Chant dans la campagne
Joseph Lanner :
Die Schönbrunner Waltz, op. 200;
Johann Strauss II :
Valse de l’empereur, op. 437