Le constat est clair: depuis Cross, sorti en 2007, le duo de musique électronique Justice ébranle les colonnes du temple artistique et cherche constamment à se réinventer. Avec Iris: A Space Opera, les deux musiciens et créateurs français, Xavier de Rosnay et Gaspard Augé, ont tenté de repousser une fois de plus les limites de l’univers musical… avec des résultats hélas inégaux.
L’idée est franchement ambitieuse: carrément réinventer la captation de concerts. Qui n’a jamais retenu un bâillement, après tout, devant ces mêmes plans de spectateurs en train de chanter leur chanson préférée, ces mêmes mains levées dans les airs, ou ces mêmes musiciens, sur scène, qui demandent à la foule de taper dans leurs mains?
Au diable tout cela, s’est dit Justice, qui a plutôt opté pour une captation dans une salle entièrement vide, mais où le paquet a été mis sur les effets visuels et lumineux. Pas de spectateurs, donc, mais une énorme quantité de projecteurs, réflecteurs et autres faisceaux destinés à créer une ambiance pratiquement surréelle. Ne reste plus, alors, qu’à lancer les caméras et s’assurer de capter l’essence même, la pureté du concert.
Il faut dire que le groupe s’y connaît en déclinaisons artistiques sortant de l’ordinaire. Déjà, dans Cross, plusieurs chansons ont eu droit à des vidéoclips intéressants, voire parfois saisissants. Aux t-shirts aux couleurs changeantes de D.A.N.C.E., on a opposé le clip viscéralement violent de Stress, réalisé par Costa-Gavras, où de la « racaille », des jeunes des banlieues françaises, agressaient, volaient et cassaient tout, vêtus de chandails et autres manteaux ornés de l’iconique crois du groupe.
Que dire, aussi, de la déclinaison cinématographique de la tournée A Cross the Universe, qui avait donné un résultat complètement déjanté, à mi-chemin entre le concert et le road trip? On y voyait les deux membres du groupes donner des concerts aux États-Unis, mais aussi se donner eux-mêmes en spectacle, alcool, sexe, drogue et même armes à feu en sus.
Par la suite, si aucune autre tournée n’a été filmée avant la plus récente, Woman Worldwide (tirée de l’album Woman, bien sûr), d’autres chansons ont eu droit à d’excellentes transpositions en vidéoclip, dont l’iconoclaste New Lands, ou encore Fire, avec Susan Sarandon. La musique de Justice a d’ailleurs gagné en sophistication avec les années; rien n’égalera sans doute le côté brut, voire brutal, de Phantom 1 et 2 sur l’album Cross, ou encore Phantom Part II sur A Cross the Universe, mais en apportant davantage de nuances à leur univers musical, Justice prouve hors de tout doute que le duo a repris le flambeau de la musique électro française des mains de Daft Punk. À bien des égards, d’ailleurs, Woman Worldwide peut être considéré comme le meilleur album de Justice jusqu’à maintenant.
Tout cela nous amène à Iris, qui, on l’aura compris, est justement une captation en direct de ce plus récent album concert. Et s’il n’y a rien à reprocher à l’aspect technique de la chose, à l’exception de certains passages où les éclairages stroboscopiques pourraient déranger les gens souffrant d’épilepsie, le visuel est franchement au point, et démontre la grande maîtrise scénographique des responsables en la matière. Oui, on se passerait des extraits de voyage psychédélique dans l’espace, mais si Daft Punk a pu présenter Interstella 5555 pour accompagner l’un de ses premiers albums, ou même Electroma, qui était franchement champ gauche, rien n’empêche Justice d’afficher quelques animations ordinaires.
Ce qui coince, en fait, c’est que cette captation de Woman Worldwide est… une captation de Woman Worldwide. Si l’on a moindrement déjà écouté l’album, ou si l’on a déjà visionné l’une des nombreuses captations « normales » en concert de ce disque, Iris n’apportera pas d’eau au moulin de la création musicale. Il y a bien quelques variations, ici et là, mais rien pour justifier d’écouter de nouveau le même disque pendant 1h30. Le fait que la seule façon légale d’acheter ladite captation soit d’espérer que des disques Blu-ray et autres supports physiques soient éventuellement de nouveau disponibles, plutôt que d’offrir l’option de simplement se procurer le concert en format numérique en ligne – alors qu’il est déjà possible d’en écouter une retransmission sur YouTube – prouve que Justice a peut-être voulu produire un film pour l’équipe seulement, et non pas pour le grand public.
Il est toutefois fort intéressant et instructif de visionner le making-of de ce space opera. Peut-être avant de réécouter le disque?
Déjouer l’ennui – Pierre Lapointe et la peine d’amour éternelle