Nous vivons dans un homme pensé par et pour les hommes. Fort heureusement, les tentatives de transformation de cette société résolument patriarcale depuis des siècles permet d’y aller d’une série de réflexions profondes sur les bases sur lesquelles s’appuient nos façons de fonctionner et d’agir. Le Boys Club, publié aux Éditions du remue-ménage, ouvre justement la porte à l’une de ces réflexions, menée ici de main de maître par Martine Delvaux.
L’idée tombe sous le sens, mais a malgré tout provoqué une levée de boucliers. Après tout, sommes-nous vraiment surpris que les hommes, longtemps quasiment seuls à régner, diriger, ou simplement à prendre les principales décisions sociales, politiques, économiques et familiales, aient modelé la civilisation à leur image? Et faut-il s’étonner que ces structures, pérennes encore de nos jours, aient leurs adhérents, généralement des hommes? Après tout, cela ne fait pas si longtemps que seul un concours de circonstances a fait en sorte qu’Elizabeth est devenue reine d’Angleterre. Plus près de chez nous, les femmes n’ont le droit de vote que depuis 78 ans, au Québec, et le droit de disposer librement de leur corps que depuis une trentaine d’années, avec un accès légal à l’avortement.
Outre ces grands dossiers et enjeux sociétaux essentiels, impossible, non plus, de passer sous silence le sexisme ordinaire, l’inégalité salariale, le concept de charge mentale, la répartition bien souvent mauvaise des tâches domestiques entre l’homme et la femme dans un couple, les normes de beauté imposées aux représentantes du sexe féminin, la culture du viol… La liste pourrait se poursuivre longtemps, même si elle donne déjà le tournis.
Et pourtant, chose intéressante, ce n’est pas nécessairement à ces monstres que s’attaque d’abord l’auteure (autrice?), mais plutôt à ce qui est encore considéré comme des évidences, preuve, s’il en est une, de l’intégration des codes sexistes au sein de la société occidentale. Par exemple, si le nombre de clubs réservés aux hommes a largement diminué depuis l’époque victorienne, où ils étaient particulièrement nombreux, on en compte encore aujourd’hui, où cette ségrégation selon les sexes est même un objet de fierté de la part des membres. Qu’en est-il, aussi, de la conception des villes et des bâtiments? De tous ces ersatz de phallus qui s’élancent, conquérants, vers le ciel?
La force du Boys Club se trouve peut-être d’ailleurs de ce côté: plutôt que de livrer une charge à fond de train contre les « grands problèmes » de la société contemporaine et de ses dérives patriarcales et masculinistes, Martine Delvaux s’attaque au phénomène de façon un peu plus subtile, en dirigeant le tir vers des aspects si « normaux » qu’on peut aisément oublier qu’ils sont également symptomatiques d’un dysfonctionnement majeur de notre civilisation.
Voilà pourquoi cet essai, en apparence quasi-anodin, est si essentiel. Et voilà peut-être pourquoi une certaine tranche de la société s’est immédiatement révoltée contre les conclusions de l’ouvrage. À l’image de la lutte contre les changements climatiques – une autre histoire de domination patriarcale, avec le culte de l’accumulation de richesses, du gros véhicule et de la maison servant à y entreposer ses possessions –, le réveil est brutal lorsque l’on est confronté à une critique directe et efficace d’un mode de vie plus que dépassé.
Le Boys Club, de Martine Delvaux, publié aux Éditions du remue-ménage, 185 pages.
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