L’Usine C accueille, pour une dernière journée, vendredi, le nouveau spectacle du danseur et chorégraphe Frédérick Gravel. L’oeuvre en question, Fear and Greed, est le premier spectacle solo du créateur. Rencontre.
La réputation de Frédérick Gravel n’est plus à faire. Non seulement chorégraphe et danseur, mais aussi musicien et éclairagiste, le quadragénaire est entre autres un habitué de l’Usine C, où il a présenté Cabaret Gravel, en 2015, et Some Hope for the Bastards, en 2017.
Pour Fear and Greed, le titre même du spectacle donne une petite idée des thèmes qui y seront abordés. Selon M. Gravel, c’était aussi une question d’état d’esprit, à l’époque. « Quand j’ai créé ce spectacle, et bon, j’ai pris un peu mon temps pour le créer… quand je dois trouver des titres, le spectacle n’existe généralement pas totalement encore, alors je fais un « scan » de comment je me sens, comment je sens les gens autour de moi. Et le « scan » a sorti ça, en fait », dit-il au bout du fil.
Est-ce à croire que le spectacle lui-même est sombre? « Ce qu’il faut savoir, avec un titre, c’est qu’il a souvent une fonction de communication, pour situer un peu l’ambiance, ou l’intention, mais le spectacle n’est pas nécessairement à propos d’un titre ou d’un problème. J’aime à dire qu’un spectacle est « à cause » d’un problème, ou « à cause » d’une situation, ou « parce que ». Je pense que c’est un peu le cas avec Fear and Greed: l’expression est le carburant d’un système économique qui perd le contrôle et qui finit par s’emballer lui-même, et ne plus servir à beaucoup de gens. C’est un peu le sentiment par rapport à un système aussi important », mentionne l’artiste.
« À partir de là, comment est-ce que je me sens? Est-ce que j’ai un pouvoir? Est-ce que j’ai une opinion? Est-ce que je peux changer quelque chose? C’est un peu la grande question que je me pose dans ce spectacle-là… en plus de s’intéresser un peu au rôle de l’art dans tout cela, puisque c’est en quelque sorte ma marotte depuis plusieurs années. »
Un processus transformé
Le passage au solo a par ailleurs transformé la méthode de création de Frédérick Gravel. « Comparativement à Some Hope for the Bastards, où on était 12 sur scène, j’avais un peu de fatigue organisationnelle. Si je peux faire quelque chose qui demandera un peu moins de travail, ne serait-ce que dans la production d’horaires… À partir de là, c’était super différent, ma façon de fonctionner en solo, par rapport aux moments où on est en groupe, parce que je fonctionne beaucoup en collectif, et les danseurs qui sont là nourrissent beaucoup le travail. Alors, je vais arriver avec des premières impros, de premières ébauches, et je veux voir ce que ça donne. En voyant des gens se l’approprier, déjà, permet à la recherche de progresser », mentionne encore le chorégraphe et danseur.
Celui-ci évoque également un « partage de responsabilités et d’esthétique » lorsqu’il travaille avec d’autres artistes. « Tout seul, je n’avais pas cette rencontre-là pour me déstabiliser, ou mieux me stabiliser. Je tournais davantage autour de mes propres impros, ce qui change tout. Je devais me trouver une motivation qui me tient, et sur laquelle je peux m’appuyer. J’ai donc travaillé beaucoup avec la vidéo », indique encore M. Gravel, qui précise avoir « quelque peu délaissé la forme et l’écriture chorégraphique » dans le cadre de son processus de création.
Fear and Greed n’en est d’ailleurs pas à sa première représentation (ou plutôt sa deuxième, puisque les séances ont commencé jeudi), puisque le spectacle était présenté au Festival TransAmériques, au printemps dernier, ainsi qu’au Connecticut, la semaine dernière. Cette première expérience en solo a-t-elle provoqué une réflexion chez l’artiste? « Comme je suis encore dedans, et que l’on regarde pour voir si on peut aller plus loin, retravailler le tout, puisque c’est de l’art vivant, c’est sûr que je ne suis pas présentement dans le désir de refaire une autre pièce solo. Je ne crois pas que ça m’effraie, mais je suis beaucoup plus conscient de ce que ça représente comme travail. »
« Je serais prêt à le refaire, mais je pense que j’évoluerais dans mon esthétique. Mon corps évolue, lui aussi: j’ai 40 ans, je ne danse plus comme à l’époque où j’en avais 30. Je suis un peu moins risky, ou je suis encore tout autant risky, mais d’une autre façon, je risque d’une autre manière, j’ai une autre usure. »
Fear and Greed, de Frédérick Gravel, présenté à l’Usine C ce vendredi à 20h, avec un atelier en compagnie de l’artiste de 16 à 18h.