Si la tension semble être légèrement retombée dans le dossier de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les deux grandes puissances mondiales ne sont toutefois pas au bout de leurs peines, et les négociations pourraient se poursuivre pendant encore des années.
Selon Chi Lo, économiste principal pour la Chine chez BNP Paribas gestion de biens, il ne fait d’abord aucun doute que Washington et Pékin sont bel et bien engagés dans une guerre commerciale. « Il y a déjà beaucoup d’action (entre les deux gouvernements) si vous regardez du côté des tarifs à l’importation de marchandises », estime M. Chi.
« C’est effectivement une « guerre commerciale », qui, en gros est un terme qui décrit un conflit commercial entre les deux pays. Avant la plus récente ronde de négociations, il y avait un risque que cette guerre commerciale prenne de l’ampleur, dans le sens où les Américains auraient pu imposer des tarifs de 25% ou plus sur l’ensemble des exportations chinoises vers les États-Unis. Washington n’a pas fait cela – pour l’instant –, mais c’est quelque chose que le président américain Donald Trump a déjà menacé de faire, et ce jusqu’à il y a quelques semaines, lorsque les négociations ont débuté, et l’environnement commercial soit redevenu plus bénin. »
Au dire de l’économiste, il y a « une chance sur deux » pour que les deux parties parviennent à un accord temporaire au cours des prochaines semaines. « L’accord n’est pas final; personne ne s’attend à ce que l’accord soit final », soutient-il.
Un tel accord préparerait le terrain pour une entente plus importante, qui nécessiterait des tractations pendant encore un an ou deux, avance M. Chi, qui évoque « un dossier de longue haleine » entre les deux pays.
Une ou deux années de négociations feraient bien entendu en sorte que le principal interlocuteur de la Chine, à la Maison-Blanche, pourrait demeurer Donald Trump, s’il est élu, mais pourrait aussi être un président démocrate nouvellement entré en fonction. Cela pourrait-il avoir un impact sur les négociations avec Pékin et le président chinois Xi Jinping? « Il est certainement possible qu’en cas d’élection d’un ou une nouvelle présidente américaine, l’approche par rapport à la Chine soit différente, moins dure. Avant l’arrivée de M. Trump, les précédentes administrations américaines avaient une approche plus amicale envers Pékin, parce que la politique gouvernementale s’appuyait sur l’engagement constructif; depuis l’arrivée de M. Trump, les choses ont changé. Et les leaders chinois croient que peu importe qui sera à la tête du pays, la politique envers la Chine ne sera pas plus amicale », avance M. Chi.
« Il y a un état de concurrence à long terme entre les deux pays; M. Trump a changé la façon dont les États-Unis agissent par rapport à la Chine, et je crois que ce sera la nouvelle position américaine à long terme. »
Passation des pouvoirs
Chi Lo soutient par ailleurs que cet état de concurrence féroce entre les États-Unis et la Chine sur plusieurs fronts, non seulement sur le plan commercial, mais en matière de télécommunications, par exemple, ou du côté de la recherche, s’inscrit dans un contexte de « passation des pouvoirs », où une grande puissance perd peu à peu de son influence au profit d’un nouveau joueur sur le terrain géopolitique et économique.
Le même phénomène s’est produit avec le Royaume-Uni et les États-Unis, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale; dans le cas de la Chine et des États-Unis, M. Chi estime que le processus prendra une cinquantaine d’années, encore. Et que Washington ne restera certainement pas les bras ballants devant la montée de la puissance chinoise.
« M. Trump veut renverser la mondialisation; il veut que les compagnies américaines quittent la Chine pour revenir aux États-Unis. Logiquement, il n’y a rien de mal à ça, mais lorsque vous regardez le côté économique de la chose, rien ne fonctionne. La raison pour laquelle les entreprises américaines quittent le pays de l’Oncle Sam pour s’installer ailleurs, y compris en Chine, est parce qu’elles peuvent y produire à plus bas coût, puis expédier les produits aux États-Unis ou ailleurs dans le monde », explique l’économiste principal.
« Voilà pourquoi je pense que Donald Trump ne comprend pas vraiment ce principe. Ramener les entreprises aux États-Unis est mauvais; au cours des 30 dernières années, la mondialisation a accéléré la croissance de tous. Ce n’est pas parfait: la distribution des richesses et de la croissance n’a pas été égalitaire, c’est là le principal problème, mais le processus de mondialisation a rendu tout le monde plus riche, tout en permettant de contrôler l’inflation et d’éviter les spirales inflationnistes. »
« Si les États-Unis continuent de vouloir aller à l’encontre de la mondialisation, nous pouvons nous attendre, à plus long terme, à davantage de fragmentation des marchés, d’inefficacité et à un retour de l’inflation », a ajouté M. Chi.
Efficacité des tarifs et ralentissement chinois
Les tarifs commerciaux ont-ils vraiment été efficaces? Bien des experts ont affirmé, depuis bientôt 17 mois, soit depuis le début des pressions commerciales exercées par la Maison-Blanche, qu’imposer des tarifs sur les exportations chinoises viendrait à accroître le prix sur les produits vendus aux États-Unis, les détaillants transférant ces hausses aux consommateurs.
À cela, Chi Lo répond que les tarifs ne se sont pas encore répercutés sur les produits au détail, mais plutôt ailleurs, dans la chaîne d’approvisionnement économique.
L’économiste principal estime par ailleurs que l’impact des tarifs américains sur l’économie chinoise, décrits comme « gigantesques » par le président Trump, ne sont en fait pas si importants, et qu’ils viennent plutôt s’inscrire dans un contexte de ralentissement progressif de la croissance économique chinoise. L’Empire du Milieu affiche en effet, depuis plusieurs années, une croissance particulièrement forte, certes, soit de l’ordre de 7%, un taux impensable dans une économie plus développée, comme les États-Unis ou le Canada, mais cette croissance tend à ralentir, à mesure que les régions plus urbanisées de la Chine, le long de la côte, atteignent un plafond de croissance.
Cependant, il ne faut pas croire que la croissance chinoise effectuera un plongeon: « Il y a encore beaucoup de zones rurales et moins développées à l’intérieur des terres », explique Chi Lo. « Il faut donc s’attendre à ce que la croissance économique se poursuive pendant encore plusieurs années. »
Dans cette perspective, dit-il, l’impact des tarifs américains est conséquent, oui, mais ne devrait pas remettre en cause la croissance à long terme du pays.
Certains problèmes pourraient cependant venir assombrir les perspectives chinoises, y compris le fait que la Chine est aux prises avec des bulles immobilières dans les villes les plus développées, où les appartements sont hors de prix. Dans les régions plus rurales, toutefois, la demande ne suffit pas à combler l’offre. « Les gens ne comprennent pas toujours que le marché immobilier chinois est particulièrement complexe. Le gouvernement ne peut pas imposer une politique unique dans l’ensemble du pays; il faut pratiquement une politique par ville », mentionne M. Chi
Pour évaluer de possibles problèmes économiques chinois, y compris dans le contexte des négociations avec les Américains, il faut aussi regarder du côté de Hong Kong. Car la révolte qui gronde depuis plusieurs années dans l’ex-colonie britannique, avec un regain de tensions au cours des derniers mois, risque de jeter de l’huile sur le feu qui couve entre Washington et Pékin. D’autant plus que la Chambre américaine des représentants vient de réussir à faire adopter une loi d’appui à la démocratie dans la région, loi qui a été approuvée par le président Trump. Les Chinois ont réagi fortement, en menaçant de « représailles ».
Il n’y a toutefois pas lieu de paniquer, assure Chi Lo. « Jusqu’à maintenant, dit-il, le dossier de Hong Kong a été séparé de celui des négociations commerciales. » Il faudra cependant voir si la rencontre entre les représentants américains et chinois, prévue au cours des prochaines semaines, ne sera pas annulée ou reportée au dernier instant en raison des tensions politiques, ou des décisions de l’un ou l’autre des présidents.