Élevée sur le bord de l’eau, là où le Saint-Laurent devient une mer immense, Sylvie Drapeau a grandi avec ses frères et soeurs, ses parents aux façon de faire un peu plus « à l’ancienne ». Dans une magnifique et terrible pièce présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), l’actrice et auteure raconte sa vie, tout simplement.
Tout simplement? Il n’y a rien de simple dans la vie de la famille Drapeau. La vie est dure sur la Côte-Nord; plus que dure, en fait, elle est cruelle. Ce n’est pas pour rien que l’auteure a tiré quatre romans de sa propre vie: Le Fleuve, Le Ciel, L’Enfer et La Terre. Chaque livre, transposé ici sur scène, lève le voile sur un pan majeur de l’existence familiale, avec ses hauts, mais aussi – et surtout – avec ses bas.
C’est en effet à une saga théâtrale que l’on nous convie, ici, sous supervision de la metteure en scène Angela Konrad, dont la réputation n’est plus à faire. Sur scène, justement, beaucoup de grands espaces, symboliques de cette vie loin de la grande ville, tout près des vagues. Symboliques, également, de la disparition des trop nombreux membres de la famille à avoir succombé aux mauvais coups du sort, à la maladie, à la vie elle-même.
Sous la forme de longs monologues, chacun se déroulant à une époque spécifique de la vie de Mme Drapeau et étant interprétés par une actrice de plus en plus âgée, à mesure que le personnage principal gagne en années et en maturité, ou plutôt en expérience de vie, les quatre sections de la pièce, que l’on pourrait certainement présenter comme autant d’actes, viennent tour à tour faire sourire, toucher, puis émouvoir. Il y a quelque chose dans la franchise du texte, dans le côté à la fois terre à terre et sophistiqué des répliques, qui vient donner un côté bien réel à la chose. À un point tel, en fait, que l’on se prend à avoir les larmes aux yeux lorsqu’il est question de la mère du personnage principal qui est emportée par le cancer, alors que l’actrice, à ce moment interprétée par une jeune femme probablement dans la mi-vingtaine, évoque ce besoin paradoxal de se distancer de ses parents et de s’en rapprocher au même moment.
Qui n’a jamais perdu un proche, ou vu un membre de sa famille succomber lentement à la maladie, et regretté de ne pas avoir passé plus de temps en sa compagnie? Qui n’a jamais pensé qu’il était hélas trop tard pour rattraper le temps perdu?
Pendant près de deux heures, voilà donc que le public est attrapé par les tripes et transporté là-bas, là où les vagues mordent sans relâche dans la falaise.
En chemin, toutefois, quelques accrochages. Soir de première oblige, les acteurs s’enfargent parfois dans leurs répliques. Et certaines transitions entre les actes, trop brutales, sont décidément à revoir.
Cela étant dit, Fleuve, sans artifices visuels inutiles, sans flafla, est une très bonne pièce. Une oeuvre marquante, poignante, qui reste longtemps en tête après que le rideau s’est abaissé. À voir et à apprécier, même si son contenu peut faire trembler d’émotion.