Sous des airs de polar d’anticipation, Sébastien Goethals livre une charge à fond de train contre le corporatisme avec Le temps des sauvages, un roman graphique adapté du Manuel de survie à l’usage des incapables de Thomas Gunzig.
Caissière dans un magasin à grande surface depuis plus de dix ans, Martine Laverdure n’a jamais pris une seule journée de maladie et n’est jamais arrivée en retard, mais elle a toutefois un vilain défaut : elle est syndiquée! Depuis qu’ils l’ont appris, ses supérieurs cherchent un moyen de l’évincer de son poste, et sous prétexte qu’elle entretient une relation personnelle avec un autre employé, un certain Jacques Chirac Oussoumo, elle est sauvagement mise à pied.
Acceptant plutôt mal son congédiement, la dame meurt des suites d’une altercation avec la sécurité, et le centre commercial ne sera plus jamais le même, puisque Martine Laverdure est aussi la mère de quatre hommes-loups qui, en apprenant son décès, se lanceront dans une vendetta sanglante afin de venger sa mort en tuant et en mangeant les coupables un par un, comme c’est la coutume chez les loups.
Adapté du Manuel de survie à l’usage des incapables, Le temps des sauvages bénéficie de la prose délirante de Thomas Gunzig, où s’entremêle citations d’Arnold Schwarzenegger, obsession pour Robert C. Baker (l’inventeur des croquettes de poulet), et théories de Gregory Bateson sur le fonctionnement des systèmes. Au-delà d’une simple histoire de vengeance, le récit s’inspire de notre société de consommation pour extrapoler un futur pas si lointain où tout est commandité, jusqu’aux baleines s’échouant sur la grève qui arborent le logo de Nike. Forme de copyright ultime, la reproduction est également privatisée, et seules les corporations ont le droit de donner naissance à de nouveaux humains, auxquels ils ajoutent des gènes de serpent, de loutre ou d’autres animaux pour les rendre plus performants. Bel avenir!
Sébastien Goethals adopte une approche très cinématographique pour Le temps des sauvages, allant jusqu’à utiliser les objets scannés à la caisse du magasin où travaille Martine Laverdure pour créer un générique en bonne et dûe forme en début d’album. En plus de multiplier les scènes d’action explosives, dont des attaques de convoi blindé au lance-roquettes ou des fusillades au beau milieu d’un centre commercial, ses cases empruntent souvent des angles inusités, montrant le point de vue d’un missile volant vers sa cible par exemple. Il crée une signature visuelle unique pour chacun de ses quatre hommes-loups, met des ® et des ™ un peu partout pour rappeler l’omniprésence des corporations dans ce futur peu enviable, et n’utilise qu’une seule couleur par page (café, bleu-gris, vert délavé, etc.), ce qui donne une texture de film noir fort intéressante à l’ensemble.
En prenant au pied de la lettre la maxime selon laquelle l’homme est un loup pour l’homme, Le temps des sauvages propose une fable aussi féroce qu’iconoclaste sur notre société de consommation, et cette bande dessinée sulfureuse constitue une très belle découverte.
Le temps des sauvages, de Sébastien Goethals et Thomas Gunzig. Publié aux Éditions Futuropolis, 272 pages.
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