À toutes les deux semaines, Annie Lord descend à Montréal pour livrer ses bouquets de fleurs sauvages dans le quartier Villeray et sur le Plateau-Mont-Royal. En entrevue, elle m’explique en quoi ce type de cueillette est devenu un mode de vie.
« Tranquillement, je commence. C’est mon premier printemps, mon premier été. Je découvre les endroits. Tous les cueilleurs professionnels ont leur « spot », c’est de connaître le territoire », m’explique-t-elle. Les forêts ne sont pas l’idéal puisque les arbres font beaucoup d’ombre, elle préfère explorer les champs, les terrains en friche, les jardins et sur la route où pousse une grande variété de plantes indigènes. Par habitude, son oeil scrute les bords de route même en conduisant. De Montréal à Val-David, elle s’est arrêtée à trois reprises pour cueillir des plantes, me raconte-t-elle.
Pendant la cueillette, elle cherche à « être très observatrice, très attentive sur ce qui se passe à l’extérieur, puis d’honorer dans ses bouquets les petites fleurs, les petites plantes qui sont fragiles et qu’on regarde moins souvent ». Annie Lord ne fait pas que cueillir dans de grandes étendues naturelles dans des régions champêtres. Elle s’intéresse aussi aux plantes « qui nous entourent au quotidien, qui sont à côté de nos souliers, mais qu’on ne regarde pas ». De rendre esthétiques des plantes d’ici par la composition de bouquets rejoint sa volonté de faire redécouvrir la flore québécoise.
« La cueillette, c’est de cueillir ce qui est là. C’est une manière de voir autour de nous chaque semaine ce qui se passe. La végétation, la flore du Québec change », affirme-t-elle. Pour elle, l’action ancestrale de cueillir se trouve au carrefour de trois pratiques: la méditation, l’art performatif et la « Wilderness Awareness School », une forme de philosophie en lien avec la nature. Il s’agit d’être sensible à ce qui nous entoure et de saisir les occasions lorsqu’elles se présentent au lieu de chercher à provoquer les choses. Alors, elle met le besoin de produire de côté pour laisser son entreprise se développer au gré du vent et des saisons.
Cueillette éthique
À ce jour, 78 espèces de la flore ont été désignées menacées ou vulnérables au Québec, et 558 plantes sont considérées comme étant susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables, d’après le ministère du Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques.
Au Québec, les cueilleurs n’ont pas de statut professionnel, mentionne Annie Lord qui reçoit l’aide de l’artisan Gérald Le Gal. Ce dernier récolte et transforme des plantes sauvages pour en faire des produits comestibles dans le cadre de son entreprise située dans les Laurentides, Gourmet sauvage, depuis 1993.
Cet artisan tente de faire reconnaître le statut de cueilleur, qui respecte l’éthique de cueillette, auprès du gouvernement afin d’éviter le pillage des ressources naturelles, étant donné qu’aucune autorité ne vérifie si les lois sont respectés, m’explique-t-elle. « C’est sûr qu’il faut que je sache ce que je suis en train de cueillir. Ça prend beaucoup de travail de recherche parce que je trouve des espèces nouvelles chaque semaine », affirme-t-elle. À chaque nouvelle plante, elle doit l’identifier et vérifier si elle ne fait partie de la liste des plantes vulnérables. Aussi, elle fait une recherche à savoir si la plante se reproduit bien ou non, spécifie-t-elle.
Elle veille également à ne pas cueillir de plantes envahissantes. « Si je mets dans mes bouquets la renouée japonaise qui est très belle, puis que les gens finissent par la mettre dans le compacteur à déchets et que ça se retrouve dans le dépotoir, je vais contribuer à ce que la plante envahissante continue à proliférer à travers le Québec », donne-t-elle en exemple. Ainsi, elle protège l’environnement.
Poids du nombre
« Carotte sauvage! », me dit-elle en me tendant un petit bouquet de fleurs blanches rattachées par leur tige. Après que des feuilles vertes aient poussé, une tige pousse au bout de laquelle se déploie un bouquet de fleurs afin que la plante se reproduise. Généralement, le fruit ou la carotte dans ce cas-ci n’est plus mangeable lorsque les fleurs apparaissent. Tous les légumes font des fleurs, m’explique-t-elle, mais l’humain a sélectionné un moment de croissance de la plante pour sa propre consommation. Pour le brocoli par exemple, nous mangeons la tige et les bourgeons.
Pour la variété de « fleurs coupées » que l’on achète chez le fleuriste, une partie de la production est faite ici. Alors que la majeure partie de ces fleurs sont importées de l’étranger, surtout de Hollande, explique Annie Lord, diplômée de l’UQAM en sciences de l’environnement. « Ce sont de grosses productions qui sont produites en serre ou en champ. En serre, on parle d’une grande consommation d’énergie. À partir du moment où ils les cueillent dans la serre et que ça arrive chez le fleuriste c’est réfrigéré. Arrivées ici, elles sont remises dans l’eau tout de suite », poursuit-elle. Souvent, cette variété de fleurs a été modifiée par l’humain, par hybridation afin de mélanger les couleurs par exemple.
Annie Lord propose un produit alternatif, local et écoresponsable. « Je pense qu’il y a beaucoup d’artisans qui vivent ça. Comment rester un artisan sans devenir industriel ou faire quelque chose en série, mais être capable d’en vivre? », se questionne-t-elle.
Pour vous procurer un bouquet de fleurs sauvages, vous pouvez rejoindre Annie Lord par téléphone ( 514-317-0230), par courriel, ou via sa page Facebook.